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ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE NORD-AMÉRICAIN
GROUPE SPÉCIAL ARBITRAL INSTITUÉ CONFORMÉMENT AU CHAPITRE 20

 

DANS L’AFFAIRE:
DES SERVICES TRANSFRONTIÈRES DE CAMIONNAGE
(Dossier du Secrétariat
no USA-MEX-98-2008-01)

 



151. Le Mexique soutient que la prohibition américaine à la délivrance à d’autres transporteurs mexicains de permis d’exploitation applicables aux services en zone longue sur le territoire américain n’est pas une mesure de sécurité, mais plutôt une « mesure de contrainte économique ».140

152. Dans le cadre de l’ALÉNA, les États-Unis s’étaient engagés à lever le moratoire, de sorte que d’autres transporteurs mexicains fussent autorisés à fournir des services transfrontières de camionnage en zone longue. « Mais [...] les États-Unis n’ont absolument rien fait pour modifier leur législation de manière à transformer la mesure de contrainte économique en une disposition réglementaire d’un autre type [...] En fait, le DOT n’a jamais abrogé le règlement qu’il avait arrêté définitivement à la fin de 1995, qui aurait autorisé les transporteurs mexicains à demander des permis d’exploitation suivant les mêmes procédures et critères que les transporteurs américains et canadiens. Par conséquent, dans le cadre de la législation américaine, le maintien du moratoire sur la délivrance de permis d’exploitation aux transporteurs mexicains reste officiellement une mesure de contrainte économique.141


B. Thèses des États-Unis


153. Selon les États-Unis,

[l]e régime mexicain de sécurité est dépourvu d’éléments essentiels tels qu’un ensemble complet de normes d’équipement des camions et des systèmes pleinement opérationnels d’inspection routière et de contrôle en établissement. Étant donné ces différences importantes de situation et le bilan à ce jour de l’observation des règles de sécurité par les camionneurs mexicains roulant dans la zone frontalière américaine, la décision américaine de reporter l’examen des demandes de permis d’exploitation provenant de transporteurs mexicains jusqu’à la réalisation de nouveaux progrès dans les travaux bilatéraux de renforcement de la sécurité est à la fois prudente et compatible avec les obligations découlant pour les États-Unis de l’ALÉNA.142
 

154. Ainsi, les États-Unis ne seraient pas tenus de délivrer des permis d’exploitation aux entreprises mexicaines de camionnage étant donné que le Mexique ne dispose pas encore d’une réglementation suffisante pour assurer la sécurité routière aux États-Unis.143 Selon les États-Unis, « l’ALÉNA ne porte aucune prescription de cette nature. Au contraire, les dispositions de l’ALÉNA relatives au traitement national et au traitement de la nation la plus favorisée autorisent les Parties à appliquer un traitement différencié aux fournisseurs de services en vue de réaliser un objectif légitime de réglementation ».144

155. Les États-Unis soutiennent que l’observation des règles de sécurité par les transporteurs mexicains ne peut être assurée par un examen au cas par cas : « Une approche au cas par cas, cependant, ne pourrait assurer de manière satisfaisante l’observation des règles de sécurité par les transporteurs routiers mexicains exerçant une activité aux États-Unis. En effet, comme les États-Unis l’ont déjà expliqué, la sécurité routière ne peut être garantie que par un régime complet et intégré. C’est pour cette raison que les États-Unis s’efforcent d’élaborer, en collaboration avec les responsables mexicains, des systèmes comparables de sécurité des transports routiers ».145 Il ne serait pas non plus concrètement possible pour les États-Unis d’inspecter les camions un à un à la frontière.146

156. Les États-Unis recensent dans les termes suivants les lacunes du système mexicain de surveillance :

Le gouvernement mexicain ne dispose pas d’un système d’identification des transporteurs et conducteurs ressortissant à son autorité qui permettrait d’attribuer et d’examiner comme il convient les entorses aux règles de sécurité. Nous croyons comprendre que le gouvernement mexicain déploie des efforts considérables pour enregistrer tous les transporteurs du pays et les inscrire dans une base de données qui faciliterait l’attribution des infractions aux règles de sécurité, mais cette base ne contient pas encore de données relatives à la sécurité. Par conséquent, le Mexique ne peut déterminer le degré de conformité aux règles de sécurité des transporteurs et conducteurs mexicains [...] Ne disposant pas de l’information qu’ils pourraient tirer de tels dossiers de sécurité, les États-Unis ne peuvent procéder à une évaluation digne de ce nom des caractéristiques des transporteurs mexicains sur le plan de la sécurité au stade de l’examen des demandes de permis d’exploitation.147

157. Les États-Unis font valoir en outre qu’il serait vain d’essayer d’inspecter les transporteurs mexicains au Mexique, parce que ceux-ci « ne sont pas astreints à tenir les registres qu’il est d’usage d’examiner dans ces inspections ». Même si l’on faisait un effort dans ce sens, les renseignements ainsi obtenus « resteraient impossible à corroborer jusqu’à ce que le gouvernement mexicain élabore et mette en place les systèmes d’information nécessaires pour recueillir et communiquer ces données ».148 Les États-Unis notent aussi qu’ils n’ont jamais procédé à des vérifications au Mexique:

 « Les États-Unis n’ont jamais exécuté de contrôles de conformité ni aucune autre sorte d’inspections de transporteurs ou de camions sur le territoire mexicain, pas plus qu’ils n’ont accordé quelque “titre ou autorisation” que ce soit à un transporteur mexicain à la suite d’une visite de ses bureaux ».149

158. Les États-Unis soutiennent également que le Mexique n’est pas fondé à invoquer l’article 105. Selon eux, « l’objet de l’article 105 est tout simplement d’établir qu’il incombe à chacune des Parties à l’ALÉNA de faire en sorte que les gouvernements de ses États ou de ses provinces se conforment aux dispositions de l’accord ». Qui plus est, « [a]ucune disposition de l’article 105 ne donne à penser que les mesures supposant la coopération entre les Parties à l’ALÉNA seraient d’une façon ou d’une autre interdites ou exclues ».150

159. Les programmes américains (et canadiens) de sécurité du camionnage sont l’élément essentiel à prendre en considération dans l’établissement des circonstances analogues de cette activité : grâce à eux, « il est fort probable que les camions américains et canadiens roulant aux États-Unis chaque jour remplissent des normes minimales de sécurité ». Les principaux éléments du programme américain de sécurité du camionnage sont les suivants :

un ensemble complet de normes rigoureuses de sécurité pour les véhicules et les transporteurs; l’application de la réglementation par le moyen d’inspections routières et de contrôles en établissement; des règles rigoureuses de tenue de registres; des bases de données électroniques qui fournissent promptement aux inspecteurs itinérants les données de sécurité dont ils ont besoin sur les conducteurs et les transporteurs; et l’affectation au contrôle d’application d’une quantité considérable de ressources humaines et autres.151

160. Selon les États-Unis, « [p]our fournir des garanties suffisantes de sécurité, il faudrait aussi que le Mexique mette en place, comme le Canada l’a fait, des mécanismes de contrôle sur son propre territoire. Les États-Unis ont déployé des efforts considérables de coopération pour aider le Mexique à élaborer son système de sécurité. S’il est vrai que le Mexique a fait des progrès notables, ce travail n’est pas achevé. » Les faits étant tels, « les dispositions de l’ALÉNA relatives au traitement national et au traitement de la nation la plus favorisée n’obligent pas les États-Unis, comme le soutient le Mexique, à accorder aux entreprises mexicaines de camionnage le même traitement que celui qu’ils accordent aux entreprises américaines et canadiennes ».152

161. En particulier, l’ALÉNA n’oblige pas

les États-Unis à délivrer des permis d’exploitation aux entreprises mexicaines de camionnage dans un contexte 1) où il subsiste des doutes sérieux sur leur bilan global de sécurité, 2) où le Mexique n’a pas achevé l’élaboration des mesures directes de réglementation et de contrôle d’application qui sont nécessaires pour que soient remplies les normes de sécurité du camionnage et 3) où les dispositifs essentiels de coopération bilatérale ne sont pas encore entièrement opérationnels.153
 

162. En outre, les États-Unis soutiennent que l’article 33 des Règles de procédure types pour le chapitre 20 attribue au Mexique la charge de prouver qu’il y a eu violation des articles 1202 et 1203, « y compris la charge de prouver l’existence des circonstances de réglementation applicables et de démontrer que ces circonstances sont “analogues” ».154

163. Selon les États-Unis,

pour prouver qu’une mesure adoptée ou maintenue par une autre Partie à l’ALÉNA est incompatible avec les articles 1202 et 1203, la Partie plaignante doit démontrer l’incompatibilité avec chacun des éléments pertinents de ces articles, c’est-à-dire qu’elle doit établir : 1) l’existence d’une ou plusieurs mesures adoptées ou maintenues par la Partie mise en cause; 2) le fait que cette ou ces mesures se rapportent au commerce transfrontières de services; 3) la nature du traitement accordé par le moyen de la ou des mesures; 4) le degré auquel ce traitement favorise les fournisseurs de services nationaux ou certains fournisseurs étrangers au détriment des fournisseurs de la Partie plaignante; 5) les « circonstances » pertinentes dans lesquelles ce traitement est accordé; et 6) le point de savoir si ces circonstances sont « analogues ».155
 

164. Les États-Unis font valoir que le Mexique n’a pas pris en considération l’ensemble de ces éléments :

Surtout, le Mexique n’a pas décrit les « circonstances » dans lesquelles les États-Unis accordent le traitement incriminé aux entreprises mexicaines pour des raisons de sécurité. En outre, le Mexique a négligé de démontrer que ces circonstances sont « analogues » à celles de la réglementation des entreprises américaines et canadiennes de camionnage.156

165. L’expression restrictive « dans des circonstances analogues » permet aux Parties à l’ALÉNA d’accorder un traitement différent, et même moins favorable, lorsque l’exige la réalisation d’objectifs légitimes de réglementation ».157 Les États-Unis déclarent souscrire à la thèse formulée par le Mexique dans sa réplique, selon laquelle « même si les transporteurs mexicains n’étaient pas d’une façon ou d’une autre exactement “analogues” aux transporteurs américains et canadiens, il était possible aux États-Unis d’établir des prescriptions propres à les rendre tels ».158 Cependant, les États-Unis ne partagent pas le point de vue mexicain sur la question fondamentale de savoir si « les transporteurs mexicains sont “analogues” aux transporteurs américains et canadiens aux fins d’application des dispositions de l’ALÉNA relatives au traitement national et au traitement NPF ».159

166. Les États-Unis ont passé en revue les emplois de l’expression « dans des circonstances analogues » dans les traités bilatéraux sur l’investissement auxquels ils sont partie, faisant valoir que le libellé de l’ALÉNA en est inspiré, même si l’expression exacte employée dans les traités susdits est plutôt « dans des situations analogues » (in like situations).160 Dans ces traités comme dans l’ALÉ, l’obligation du traitement national ne signifie pas qu’une mesure déterminée doive entraîner exactement le même traitement pour les fournisseurs de services américains et canadiens. Le paragraphe 1402(3) de l’ALÉ dispose que les fournisseurs de services visés des deux pays peuvent être traités différemment dans la mesure nécessaire pour des considérations de gestion prudente, de fiducie, de santé et de sécurité, ou de protection des consommateurs, pourvu que le traitement différent en question équivaille en pratique au traitement que la Partie accorde aux fournisseurs de services nationaux et qu’elle donne notification préalable à l’adoption de la mesure à l’autre Partie, conformément à l’article 1803.161

167. Selon les États-Unis, l’historique de la négociation de l’ALÉNA confirme cette interprétation antérieure de l’expression « dans des circonstances analogues », dans la mesure où il montre qu’on a adopté ces termes à condition qu’il leur fût attribué un sens voisin de celui de l’expression « services et fournisseurs de services analogues », à laquelle le Canada et le Mexique avaient d’abord accordé la préférence.162

168. La position des États-Unis est aussi étayée par leur Statement of Administration Action (Exposé des mesures administratives), dont le passage pertinent est ainsi libellé : « Les fournisseurs de services étrangers peuvent faire l’objet d’un traitement différent si les circonstances le justifient. Par exemple, il est loisible à un État d’imposer des conditions spéciales aux fournisseurs de services canadiens ou mexicains si cela se révèle nécessaire pour protéger les consommateurs dans la même mesure qu’ils sont protégés à l’égard des entreprises locales ».163 De même, l’Énoncé canadien des mesures de mise en oeuvre porte qu’« une Partie à l’ALÉNA peut imposer des obligations légales différentes aux fournisseurs de services des autres Parties pour faire en sorte que ses consommateurs soient protégés dans la même mesure qu’ils le sont à l’égard des entreprises nationales ».164 Il ressort donc clairement de l’expression « dans des circonstances analogues » employée aux articles 1202 et 1203 que les États-Unis jouissent de la faculté d’établir et d’appliquer des distinctions légitimes sur le plan de la réglementation aux fins de la sécurité routière sur leur territoire ».165

169. Les États-Unis soutiennent également que « [l]e cadre réglementaire dans lequel les entreprises de camionnage américaines, canadiennes et mexicaines exercent leur activité constitue une « circonstance » d’une pertinence cruciale quant au traitement que les États-Unis peuvent leur accorder, parce qu’il contribue à la détermination des pratiques sectorielles de sécurité dans les trois pays. Comme il est expliqué en détail dans l’exposé des faits [du mémoire américain], les transporteurs mexicains travaillent en fait dans le cadre d’une réglementation moins rigoureuse que leurs homologues du Canada ou des États-Unis ». Un des problèmes qui se posent à cet égard concerne les heures de service des conducteurs : « Les règles de sécurité américaines et canadiennes limitent rigoureusement les heures de service des conducteurs. Mais l’activité des routiers mexicains n’est régie que par la législation générale du travail, et le Mexique n’a pas promulgué de dispositions de sécurité directement applicables au temps que les conducteurs peuvent passer au volant ».

170. De plus, « les réglementations américaine et canadienne de la sécurité prescrivent la tenue de carnets de route par les conducteurs, seule façon envisageable d’assurer l’application des dispositions relatives aux heures de service. Or, sauf pour ce qui concerne le transport des matières dangereuses, le Mexique ne prescrit pas la tenue de carnets de route ».168 En outre, « les réglementations américaine et canadienne de la sécurité comportent des prescriptions détaillées relativement à l’équipement de sécurité des camions. Or, au Mexique, l’état et l’entretien des dispositifs de ventilation mécanique continue ne sont expressément régis par aucun règlement ».169 La réglementation mexicaine des transports routiers pose aussi des problèmes en ce qui a trait aux inspections incombant aux entreprises elles-mêmes et aux contrôles de sécurité relevant de l’administration.170

171. Les États-Unis font observer que « [l]a capacité des organismes américains chargés de la sécurité des transports à faire appliquer les règlements américains en matière de sécurité par les entreprises de camionnage américaines, canadiennes et mexicaines constitue une autre circonstance pertinente quant au traitement qui peut être accordé respectivement à ces transporteurs.171 Alors que « [l]a création et la mise à jour par l’administration de base de données sur les dossiers de sécurité des entreprises aussi bien que des conducteurs constituent un élément important du régime de sécurité aux États-Unis (et au Canada), [...] les États-Unis n’ont pas accès à de telles données sur les entreprises ou les conducteurs mexicains ».172 Qui plus est, « les organismes américains chargés de la sécurité routière comptent en partie pour s’acquitter de leur tâche sur la possibilité de contrôler en établissement les entreprises américaines et, le cas échéant, d’infliger aux contrevenants des sanctions civiles ou pénales ». Or, « les organismes américains de réglementation ne sont pas habilités à effectuer des contrôles au Mexique, n’ont qu’une expérience limitée et récemment acquise des inspections conjointes avec ce pays (alors qu’ils collaborent à cet égard depuis longtemps avec le Canada) et ne peuvent que dans une mesure restreinte prendre et faire appliquer des sanctions civiles ou pénales contre les entreprises mexicaines qui contreviendraient à la réglementation américaine de la sécurité.173

172. Une autre préoccupation majeure des États-Unis concernant « le traitement à accorder aux transporteurs américains, canadiens et mexicains est le bilan comparatif sur le plan de la sécurité des entreprises exerçant une activité aux États-Unis [...] Les camions mexicains roulant aux États-Unis sont retirés du service par suite de problèmes de sécurité découverts au cours d’inspections aléatoires suivant une fréquence considérablement plus élevée que les autres. Les données existantes montrent notamment que le taux de retrait du service est d’au-dessus de 50 p. 100 plus élevé dans le cas des transporteurs mexicains que dans celui des transporteurs américains ».174

173. Les États-Unis font observer que, contrairement au système mexicain, « la réglementation du Canada en matière de sécurité du camionnage présente un niveau élevé de compatibilité avec celle des États-Unis ».175 Par conséquent, « lorsque des camions de transporteurs canadiens entrent sur le territoire américain, les organismes fédéraux et d’État chargés de la surveillance des transports savent qu’il y a de très fortes chances que ces camions remplissent les normes et exigences américaines au moins dans la même mesure que les camions de transporteurs américains. Cette confiance est étayée par un programme informatisé, pleinement opérationnel, d’échange bilatéral d’information ».176 Pour toutes ces raisons, « lorsque des camions mexicains entrent sur le territoire américain, il n’y a aucune garantie, compte tenu de la réglementation en vigueur au Mexique, que ces camions remplissent déjà les normes américaines en matière de sécurité routière.177

174. Tous ces facteurs ont amené les États-Unis à « conclure que les “circonstances” applicables au traitement des entreprises mexicaines de camionnage aux fins de sécurité ne sont pas “analogues” à celles qui sont applicables au traitement des transporteurs canadiens et américains ».178 Par conséquent, « les États-Unis peuvent accorder aux entreprises de camionnage américaines et canadiennes un traitement plus favorable que celui qu’ils accordent à leurs homologues mexicaines sans enfreindre les dispositions du chapitre 12 relatives au traitement national ou au traitement de la nation la plus favorisée.179

175. Les États-Unis notent en outre que le Mexique n’a pas produit d’informations sur l’application de la réglementation de la sécurité du camionnage au Mexique et font observer que, « bien qu’ayant allégué qu’“il était possible pour les États-Unis d’établir des prescriptions” qui eussent rendu les transporteurs mexicains “analogues” aux transporteurs américains et canadiens », le Mexique n’a pas jugé bon de préciser « ce que pourraient être ces prescriptions ni comment elles seraient exécutables ou en quoi elles seraient efficaces ».180 Selon les États-Unis, « cette absence de preuve contraire vient étayer la thèse selon laquelle les États-Unis, en reportant l’examen des demandes mexicaines jusqu’à ce que la sécurité du camionnage puisse être assurée, agissent raisonnablement, de manière appropriée et en conformité avec les obligations découlant pour eux de l’ALÉNA ».181

176. Pour ce qui concerne le point de savoir si le taux élevé de retrait du service observé pour les camions mexicains de factage dans la zone frontalière est applicable au transport en zone longue, les États-Unis font valoir que, « [d]u point de vue de la sécurité, le service fourni au moyen des camions de factage n’est pas différent de celui qui est fourni par les camions affectés au transport en zone longue : ils transportent des marchandises sur les mêmes routes et traversent les mêmes villes – petites ou grandes ».182 De toute façon, le Mexique n’a pas démontré que ses grands routiers présentent de meilleures garanties de sécurité. Le fait pour les États-Unis de délivrer des permis de transport en zone longue aux entreprises mexicaines « n’empêcherait pas en soi les camions de factage défectueux de rouler sur le territoire américain au-delà des limites de la zone commerciale frontalière ».183

177. Les États-Unis expliquent comme il suit que certains transporteurs mexicains soient autorisés à « transiter » par leur territoire à destination du Canada :
[L]e Congrès n’a pas conféré au Department of Transportation (DOT) le pouvoir d’obliger ces transporteurs à demander un permis d’exploitation. Par conséquent, le moratoire établi sur la délivrance de permis d’exploitation aux transporteurs routiers mexicains pour le transport en dehors de la zone commerciale frontalière n’a pas d’effet sur les activités de transit. Cependant, toutes les entreprises exerçant une activité de transport aux États-Unis, qu’elles soient ou non soumises à de telles prescriptions d’immatriculation, relèvent de la compétence du DOT en matière de sécurité.184
Le moratoire réglementaire n’a pas non plus d’effet sur les transporteurs domiciliés au Mexique et appartenant à des personnes des États-Unis ni sur les transporteurs jouissant de « droits acquis », qui sont donc aussi autorisés à transporter des marchandises du Mexique à des points du territoire américain situés en dehors de la zone frontalière.185

178. Cependant, les États-Unis ne pensent pas que l’exemption de ces catégories de l’application du moratoire « démontre l’absence [chez eux] d’authentiques préoccupations de sécurité à l’égard des transporteurs mexicains ».186 « Le nombre des transporteurs ainsi exemptés ne représente qu’une mince fraction – environ deux pour cent – des entreprises mexicaines exerçant des activités transfrontières. Plus précisément, 8 400 entreprises mexicaines sont autorisées à transporter des marchandises dans les zones commerciales frontalières, alors que seulement 168 transporteurs mexicains au total bénéficient des exemptions susdites ».187

179. Les transporteurs routiers mexicains doivent détenir un certificat d’immatriculation spécial pour pouvoir exercer une activité dans les zones commerciales frontalières. Ces transporteurs sont intégralement assujettis à l’ensemble de la réglementation américaine en matière de sécurité. Ils doivent avoir contracté une assurance au voyage, dont leurs routiers doivent détenir une attestation, et ils doivent avoir retenu les services de mandataires inscrits aux États-Unis.188 Les États-Unis nient que le fait d’exiger une assurance au voyage plutôt qu’une assurance permanente témoigne d’une quelconque insouciance des différences sur le plan de la sécurité entre les transporteurs américains et leurs homologues mexicains exerçant une activité dans les zones commerciales. « La responsabilité potentielle de l’assureur, font-ils valoir, est exactement la même dans l’un et l’autre cas, et les deux formes d’assurance incitent dans la même mesure l’assureur à réduire ses risques ».189

180. Les États-Unis expliquent comme suit l’indifférence qu’on leur impute relativement aux remorques : « En pratique, cependant, les remorques mexicaines n’ont pas suscité de préoccupations importantes sur le plan de la sécurité, étant donné que de 80 à 90 p. 100 des remorques utilisées dans le commerce transfrontières appartiennent en fait à des personnes des États-Unis ».190

181. En ce qui a trait aux obligations du traitement national et du traitement de la nation la plus favorisée, les États-Unis soutiennent la thèse suivante :

[L]a question pertinente est celle de savoir si les mesures prises par les États-Unis sont compatibles avec les obligations découlant pour eux des dispositions du chapitre 12 relatives au traitement national et au traitement NPF, compte tenu des circonstances différentes applicables aux entreprises de camionnage américaines et canadiennes d’une part, et d’autre part à leurs homologues mexicaines [...] Les États-Unis agissent de manière raisonnable et appropriée en reportant l’examen des demandes de permis d’exploitation provenant d’entreprises mexicaines pendant que les fonctionnaires américains et mexicains des transports s’efforcent de concert d’élaborer des dispositifs d’exécution des règles de sécurité qui soient propres à faire en sorte que la délivrance de nouveaux permis d’exploitation à des entreprises mexicaines ne compromette pas la sécurité routière. L’application à ces faits des dispositions de l’ALÉNA concernant le traitement national et le traitement NPF doit reposer sur une analyse serrée des questions de sécurité routière et non sur des arguments abstraits relatifs à la « conditionnalité ».191

182. Selon les États-Unis, le Mexique ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait concernant le refus d’accorder des avantages sur le plan de l’investissement, « étant donné qu’[il] n’a pas établi qu’un quelconque ressortissant mexicain réponde à la définition donnée du terme “investisseur” au chapitre 11 ».192 À ce propos, les États-Unis contestent que le Mexique soit fondé à invoquer la doctrine de l’OMC selon laquelle une partie plaignante n’est pas tenue de prouver l’existence d’un effet sur le commerce. En outre, les États-Unis pensent que, selon les principes de l’OMC, « il incombe à la partie plaignante de prouver l’existence de la violation qu’elle impute à un Membre de l’OMC de ses obligations dans le cadre de cette organisation».193

183. Les États-Unis, qui insistent sur le fait qu’ils n’ont pas excipé du chapitre 9,194 nient que le Mexique soit fondé à mettre en rapport avec ce chapitre l’expression « dans des circonstances analogues ». Une Partie à l’ALÉNA, selon les États-Unis, n’a besoin d’aucune stipulation de cet accord comme « véhicule » d’une disposition réglementaire donnée (le Mexique veut vraisemblablement dire : pour autoriser une telle disposition). Pour ce qui concerne l’application de la réglementation, l’ALÉNA n’intervient que lorsque la disposition en question est liée à une obligation déterminée découlant de cet accord. Le chapitre 9 stipule certaines obligations (telles que celles du traitement national et du traitement NPF) relativement aux mesures normatives, mais il n’est pas « le véhicule de l’application » des normes.

184. Toujours selon les États-Unis, si le raisonnement du Mexique est fondé sur le principe suivant lequel seul le chapitre 9 de l’ALÉNA pourrait « permettre » un traitement différencié des fournisseurs de services nationaux et étrangers, il est à la fois circulaire et incompatible avec le texte sans équivoque de l’Accord.

185. De plus, les États-Unis soutiennent que les Parties ne peuvent avoir eu l’intention, comme le Mexique voudrait le faire croire, d’attribuer au chapitre 9 la fonction de « véhicule » exclusif de l’application des mesures normatives, puisque la portée de ce chapitre est limitée aux produits et à deux secteurs de services : les télécommunications et les transports terrestres. Le chapitre 9 ne s’applique pas aux mesures relatives à d’autres secteurs de services ni à celles qui concernent l’investissement. L’interprétation du Mexique conduit logiquement à l’idée insoutenable que les Parties auraient négligé de prévoir un « véhicule » pour l’application des mesures normatives touchant la plupart des secteurs de services, et toutes les activités d’investissement, visés par l’ALÉNA.195

186. Les États-Unis font valoir que leur position est confirmée par l’une des exceptions générales prévues à l’article 2101, dont le passage pertinent est ainsi libellé :
[A]ucune disposition [...] du chapitre 12 (Commerce transfrontières des services [...] ne sera interprétée comme empêchant l’adoption ou l’application par toute Partie des mesures nécessaires pour assurer l’application des lois et règlements qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions du présent accord, et notamment des lois et règlements qui ont trait à la santé, à la sécurité et à la protection des consommateurs.196

187. De même, dans le préambule de l’ALÉNA, les Parties disent expressément avoir résolu, dans le cadre de cet accord, « de préserver leur liberté d’action relativement à la sauvegarde du bien public ».197 « Ces dispositions montrent que les Parties à l’ALÉNA prévoyaient que leurs organismes de réglementation conserveraient la faculté d’établir, en matière de commerce transfrontières des services, les distinctions réglementaires nécessaires pour protéger la santé et la sécurité des personnes sur leurs territoires respectifs ».198

188. Les États-Unis contestent aussi la thèse du Mexique selon laquelle il ne serait pas loisible à un gouvernement de « subordonner [...] l’accès à ses marchés de biens et de services à l’adoption par le pays exportateur des règles et lois du pays importateur ».199 Ils mettent en doute l’applicabilité du rapport non adopté établi par un groupe spécial du GATT dans l’affaire du thon 200 et font valoir que la décision déterminante est plutôt celle de l’Organe d’appel de l’OMC dans l’affaire États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes. Il semble cependant aux États-Unis que le fait pour un Membre importateur de lier l’accès à son marché intérieur au point de savoir si les Membres exportateurs appliquent ou adoptent une ou des politiques unilatéralement décidées par le Membre importateur pourrait, jusqu’à un certain point, constituer un aspect commun de mesures relevant de l’une ou l’autre des exceptions formulées aux paragraphes a) à j) de l’article XX du GATT de 1994.201

189. Les États-Unis concluent que « rien ne vient corroborer la thèse du Mexique selon laquelle un quelconque principe de droit international interdirait aux États-Unis de prendre en considération la réglementation de la Partie exportatrice ».202

190. Les États-Unis font en outre observer que le Mexique, même s’il a noté une certaine analogie de la présente espèce avec l’affaire des marchés publics de l’OMC, n’a pas fait valoir l’annulation ou la réduction d’avantages en vertu de l’annexe 2004 de l’ALÉNA.203 Selon eux, il incombe au Mexique de prouver l’annulation ou la réduction d’avantages, et celui-ci n’a pas essayé de le faire. De plus, les États-Unis soutiennent que l’ALÉNA n’autorise pas le dépôt d’une plainte en annulation ou réduction d’avantages dans le cas où cette plainterelèverait d’une exception prévue à l’article 2101. Comme les États-Unis l’ont montré, le traitement différent réservé aux transporteurs mexicains est justifié par des préoccupations de sécurité et est donc compatible avec les obligations découlant pour les États-Unis des dispositions relatives au traitement national et au traitement NPF du chapitre 12. Exactement pour les mêmes raisons (ferions-nous valoir si le Groupe spécial, saisi d’une plainte en annulation ou réduction d’avantages, avait dû examiner cette question), la mesure américaine entre tout à fait dans le champ d’application du paragraphe 2101(2).204

191. Les États-Unis affirment que le Groupe spécial ne devrait pas fonder son analyse sur les motifs, dits « subjectifs » par le Mexique, des violations que celui-ci leur impute. Les décisions de l’Organe d’appel de l’OMC étayent la position des États-Unis selon laquelle la question pertinente dans la présente espèce est celle de savoir si les préoccupations de sécurité justifient le traitement différent réservé aux transporteurs mexicains, et non – comme prétend le Mexique – celle des motifs subjectifs qui animaient les décideurs américains en décembre 1995.205

192. Les États-Unis allèguent la décision Japon – Boissons alcooliques,206 dans laquelle l’Organe d’appel a déclaré qu’« [i]l ne s’agit pas d’une question d’intention » et fait observer que « pour examiner, dans n’importe quelle affaire, si une taxation différente est appliquée de manière à protéger la production, il est nécessaire de procéder à une analyse globale et objective de la structure de la mesure en question et de la manière dont elle est appliquée aux produits nationaux par rapport aux produits importés ».207

193. En outre, dans la décision Chili – Boissons alcooliques,208 l’Organe d’appel note ce qui suit :

Les intentions subjectives des législateurs ou des autorités réglementaires n’influent pas sur l’examen, ne serait-ce que parce qu’elles sont impénétrables à qui interprète les traités. Il ne s’ensuit pas cependant que les buts ou objectifs réglementaires – c’est-à-dire les buts ou les objectifs des organes législatifs d’un Membre ou du gouvernement dans son ensemble – dans la mesure où la loi elle-même leur donne une expression objective, ne soient pas pertinents.209

194. Par conséquent, le Groupe spécial saisi de la présente affaire devrait « de même examiner le point de savoir si les États-Unis remplissent leurs obligations relatives au traitement national en se fondant sur une analyse concrète de la mesure américaine et de toutes les circonstances pertinentes, et non pas, pour reprendre les termes de l’Organe d’appel, sur les “intentions subjectives [...] des autorités réglementaires” ».210

C. Thèses du Canada

195. Le Canada, qui exerce le droit que lui confère l’article 2013 de participer à la présente procédure, s’abstient de formuler des observations sur les faits de l’espèce.211

196. Le Canada soutient que l’interprétation des dispositions de l’article 1202 (traitement national en matière de commerce transfrontières de services) doit être principalement fondée sur « une comparaison entre une entreprise fournissant des services transfrontières et une entreprise fournissant des services intérieurs ». Il en conclut ce qui suit :

Le refus général de délivrer aux personnes du Mexique les permis d’exploitation nécessaires pour la prestation de services transfrontières de camionnage [...] constitue à première vue un traitement moins favorable que celui qui est accordé aux fournisseurs américains de services de camionnage dans des circonstances analogues.212

Le Canada adopte une position semblable pour ce qui concerne l’article 1102 (traitement national en matière d’investissement).213

197. Le Canada conteste aussi la légitimité du refus des États-Unis de permettre aux investisseurs mexicains d’investir sur le marché américain du camionnage. Il soutient que, selon l’article 1102,

[s]auf différence de circonstances entre un investisseur mexicain qui demande l’autorisation d’investir aux États-Unis et un investisseur américain qui demande la même autorisation, l’investisseur mexicain a droit au même traitement que son homologue américain. [Par conséquent, l]e fait d’appliquer une disposition qui prescrit à l’organisme responsable de ne pas autoriser les personnes du Mexique à investir en raison de leur nationalité équivaut à accorder un traitement moins favorable aux investisseurs mexicains que celui qu’on accorde aux investisseurs analogues [en l’occurrence américains].214
 

198. Prévoyant que les États-Unis exciperaient du chapitre 9 (mesures normatives), le Canada fait valoir que le paragraphe 904(2), qui permet à une Partie d’« établir les niveaux de protection qu’elle juge appropriés », ne s’applique qu’aux autres dispositions du chapitre 9. Ces dérogations ne peuvent être appliquées au chapitre 11 ni à aucun autre chapitre de l’ALÉNA.

199. À propos du chapitre 12, le Canada soutient que la disposition du paragraphe 904(3) selon laquelle chacune des parties, relativement à ses mesures normatives, doit accorder le traitement national conformément à l’article 1202, ne permet à une Partie que d’établir un niveau de protection légitime. Elle ne peut « servir de caution à une mesure discriminatoire censée donner effet au niveau de protection approprié ».215
 

V. LA DEMANDE DE CONSTITUTION D’UN CONSEIL D’EXAMEN SCIENTIFIQUE DÉPOSÉE PAR LES ÉTATS-UNIS

200. Dans une communication datée du 16 mai 2000, les États-Unis ont proposé « que le Groupe spécial demande à un conseil d’examen scientifique un rapport écrit sur les points de fait concernant la sécurité du camionnage soulevés par les États-Unis dans le présent différend ».216 Les États-Unis ont également fait valoir que « [l]a présence de l’article 2015 dans l’ALÉNA témoigne du point de vue des Parties à cet accord selon lequel, dans les affaires touchant à la santé ou à la sécurité, l’opinion informée d’experts techniques indépendants peut être d’une utilité inestimable au groupe spécial saisi du différend ».

201. Les États-Unis ont fait observer que « les Parties contestantes [semblaient] avoir des opinions contradictoires sur un certain nombre de points de fait relatifs à la sécurité du camionnage » que l’audience avait peu de chances d’éclairer.217 Ils ont recensé les sujets de désaccord suivants :

– les différences entre d’une part les réglementations américaine et canadienne de la sécurité du camionnage, et d’autre part la réglementation mexicaine du même domaine;

– le rôle que joue l’application des règles de sécurité dans le pays d’origine d’un transporteur pour ce qui est d’assurer la sécurité du camionnage dans les autres pays où ce transporteur exerce ses activités;

– la possibilité concrète et l’efficacité du recours aux inspections à la frontière comme moyen principal de contrôler la conformité aux normes de sécurité des transporteurs domiciliés au Mexique;

– la signification statistique des données existantes sur les taux de retrait du service chez les entreprises de camionnage domiciliées au Mexique.218

202. Les États-Unis ont aussi fait valoir que « [c]es points mettent en jeu des questions techniques complexes concernant l’exploitation concrète des entreprises de camionnage et l’efficacité de diverses catégories de mesures publiques de sécurité » et ils ont ajouté que «[l]a constitution d’un conseil d’examen scientifique par le Groupe spécial présenterait l’avantage complémentaire de promouvoir la crédibilité et l’acceptation par l’opinion publique du mécanisme de règlement des différends de l’ALÉNA ».219

203. À l’audience, tenue le 17 mai 2000, après avoir entendu les deux Parties contestantes au sujet de la demande des États-Unis, le Groupe spécial a invité ceux-ci à lui communiquer une liste détaillée et complète des points qui, selon eux, pourraient utilement faire l’objet du mandat d’un conseil d’examen scientifique (CES).220

204. Dans une lettre datée du 24 mai 2000, les États-Unis ont proposé une liste plus détaillée des points de fait dont ils estimaient souhaitable de saisir l’éventuel conseil d’examen scientifique :

a) les différences entre d’une part les systèmes américain et canadien de surveillance publique de la sécurité du camionnage, et d’autre part le système homologue du Mexique;

b) l’importance de la surveillance publique exercée au Mexique sur la sécurité du camionnage pour le renforcement de l’observation des règles de sécurité par les transporteurs exerçant leur activité à la fois sur le territoire mexicain et sur le territoire américain;

c) le point de savoir si, en l’absence d’une surveillance publique rigoureuse au Mexique, il est concrètement possible d’assurer l’application de la réglementation américaine de la sécurité, et de l’assurer efficacement, par le moyen d’inspections à la frontière;

d) le point de savoir si, en l’absence d’une surveillance publique rigoureuse au Mexique, il est possible d’assurer l’application de la réglementation américaine de la sécurité, et de l’assurer efficacement, par le moyen des procédures de délivrance de permis d’exploitation aux transporteurs mexicains;

e) la signification statistique des données existantes sur les taux de retrait du service chez les transporteurs routiers mexicains [...] [et] [...] le point de savoir s’il y a lieu, compte tenu de cette signification, de classer les transporteurs selon qu’ils travaillent en zone courte ou en zone longue;

f) l’utilité des programmes de coopération intergouvernementale, par exemple de l’établissement et de la mise à jour de bases de données complètes, en temps réel et interopérables, pour ce qui est d’assurer efficacement le respect de la réglementation de la sécurité à l’égard des camions, des conducteurs et des transporteurs;

g) le point de savoir s’il est concrètement possible d’assurer le respect de la réglementation américaine de la sécurité, et de l’assurer efficacement, relativement à des conducteurs, des transporteurs et des camions que la législation de leur pays d’origine ne soumet pas à des systèmes complets et intégrés de surveillance sous le rapport de la sécurité.221

205. Dans leur mémoire postérieur à l’audience, les États-Unis ont fait valoir de nouveau leur point de vue selon lequel « le [G]roupe spécial serait grandement aidé à arrêter sa décision finale dans la présente espèce par l’avis d’un conseil d’examen scientifique et devrait engager la procédure nécessaire pour en constituer un ».222 Selon les États-Unis, le Mexique avait mal défini les points de fait, les principaux points n’étant pas « les caractéristiques des réglementations américaine, mexicaine et canadienne des transports routiers ».223

206. Les États-Unis ont fait valoir, à l’encontre des remarques du Mexique touchant le problème que poserait la demande de constitution d’un CES relativement au calendrier de la procédure, que leur demande s’inscrivait dans le délai spécifié par les Règles de procédure types et qu’il fallait tenir compte de l’absence de pratique antérieure à cet égard; tous retards que pourrait subir la procédure du Groupe spécial par suite de la constitution d’un tel conseil avaient été pris en compte dans les négociations par les Parties à l’ALÉNA, « qui s’accordaient à reconnaître que ces travaux exigeraient du temps additionnel ».224 Qui plus est, « le fait de constituer le CES après l’audience favorise l’efficacité, parce que l’audience peut contribuer à une définition plus précise des points de fait en litige ».225

207. Les États-Unis ont en outre fait valoir que, comme le présent Groupe spécial n’était alors que le troisième à être institué au titre du chapitre 20 et qu’il était le premier à être saisi de questions de sécurité, son rapport revêtirait une importance particulière pour les trois Parties à l’ALÉNA et pour l’opinion publique. Le fait que la procédure relative au CES exigerait « quelques semaines de plus » ne jouerait sans doute – ni ne devait jouer – aucun rôle dans la décision du Groupe spécial d’en constituer un ou non. Cette décision devrait plutôt être fondée sur le seul point de savoir si un tel conseil aiderait le Groupe spécial à établir le meilleur rapport final possible.226

208. Dans une communication distincte datée du 31 mai 2000, le Mexique s’est élevé contre la proposition américaine tendant à la constitution d’un conseil d’examen scientifique en invoquant les considérations suivantes :

a) les principaux faits sur lesquels les États-Unis demandaient l’établissement d’un rapport [...] « n’étaient pas des points en litige »;

b) « [o]n comprenait mal pourquoi les États-Unis avaient déposé leur demande si tard [c’est-à-dire le 16 mai 2000], alors que pas une seule fois dans leurs mémoires antérieurs ils n’avaient donné à entendre que le Groupe spécial eût besoin selon eux de l’avis d’un CES »;

c) « les États-Unis n’[avaient] jamais eux-mêmes procédé au genre d’évaluation qu’ils attendaient d’un CES, de sorte que leur décision de ne pas remplir les engagements pris dans le cadre de l’ALÉNA ne pouvait être fondée sur une telle évaluation »;

d) « les délais fixés par l’ALÉNA pour la procédure de règlement du présent différend [avaient] déjà été dépassés, et la constitution d’un CES entraînerait de nouveaux et considérables retards ».227

209. Le Mexique a en outre fait valoir que les principaux sujets proposés par les États-Unis soit pouvaient être étudiés à l’aide d’informations facilement accessibles, soit exigeaient pour leur examen des données inexistantes, soit étaient excessivement généraux.228

210. Après avoir passé en revue les divers délais spécifiés aux articles 38 à 48 des Règles de procédure types, le Mexique a fait observer que la constitution d’un CES entraînerait « un nouveau retard d’au moins 79 jours et probablement plus ».229 Qui plus est, ajoutait le Mexique, les États-Unis n’avaient aucunement expliqué pourquoi ils « n’auraient pu déposer leur demande plus tôt dans la procédure – étant donné en particulier que, dans la présente espèce, les points de fait et de droit [avaient] déjà été analysés exhaustivement dans les mémoires des Parties ».230

211. Enfin, le Mexique a fait observer qu’aucun des sujets dont les États-Unis avaient proposé l’étude par un CES ne se rapportait à la question de l’investissement, rappelant que ceux-ci avaient admis à l’audience que « le maintien des restrictions frappant l’investissement mexicain dans les transporteurs américains n’était pas motivé par des préoccupations de sécurité ».231

212. Après délibération, le Groupe spécial a conclu à la non-pertinence des différences relativement mineures entre les points de vue des deux Parties sur les faits de la présente espèce, étant donné que ces différences n’influaient ni sur l’issue probable de l’affaire ni sur les motifs des constatations, déterminations et recommandations du Groupe spécial. En outre, la thèse principale des États-Unis touchant les points de fait était que les lois et règlements mexicains relatifs à la sécurité du camionnage étaient moins détaillés et faisaient l’objet d’une application intérieure beaucoup moins efficace que les lois et règlements correspondants des États-Unis. Aux fins de son évaluation, le Groupe spécial a supposé que cette analyse des faits était correcte, sans établir de constatations sur la question.

213. Par conséquent, le Groupe spécial a décidé qu’il n’était pas nécessaire de constituer un conseil d’examen scientifique et, le 10 juillet 2000, a décerné l’ordre de procédure suivant :

Après examen de la demande de constitution d’un conseil d’examen scientifique déposée par les États-Unis et des observations formulées par le Mexique sur cette demande, le Groupe spécial a décidé qu’il ne serait pas constitué de conseil d’examen scientifique à la présente étape de la procédure.

Il n’y a pas eu dans la procédure, depuis le 10 juillet 2000, de faits nouveaux qui auraient amené le Groupe spécial à revenir sur sa décision.
 

VI. ANALYSE DES POINTS EN LITIGE

214. Dans la présente analyse, le Groupe spécial s’abstient d’examiner les motifs de la décision américaine de maintenir le moratoire sur le commerce et l’investissement transfrontières en matière de services de camionnage; il se contente d’étudier le point de savoir si cette mesure est compatible ou non avec l’ALÉNA. Le Groupe spécial fait observer que cette approche est entièrement conforme à la pratique de l’Organe d’appel de l’OMC, lequel, dans les décisions Japon – Taxes sur les boissons alcooliques (p. 33 et 34) et Chili – Taxes sur les boissons alcooliques (par. 62), s’est refusé à examiner les raisons subjectives ou les intentions des autorités gouvernementales. Comme à propos d’un problème analogue, l’Organe d’appel l’a fait remarquer dans la décision Chili – Boissons alcooliques (par. 62), « [l]es intentions subjectives des législateurs ou des autorités réglementaires n’influent pas sur l’examen, ne serait-ce que parce qu’elles sont impénétrables à qui interprète les traités ».232

215. Il convient aussi de noter que le Groupe spécial a dûment pris en considération toutes les thèses formulées par les Parties contestantes et le Canada dans leurs diverses communications, y compris les observations des Parties sur son rapport initial, même s’il ne traite pas explicitement certaines de ces thèses dans le présent rapport final.

A. Interprétation de l’ALÉNA

216. Le Groupe spécial expose dans la présente section le cadre juridique général dans lequel s’inscrit l’interprétation des thèses des Parties. Dans les sections suivantes, il analysera et interprétera les dispositions de l’ALÉNA relatives aux transports terrestres sous le rapport des réserves aux mesures existantes et engagements de libéralisation (section B), des services (section C) et de l’investissement (section D).

217. Les objectifs de l’ALÉNA sont énoncés au paragraphe 102(1) de cet accord :
Les objectifs du présent accord, définis de façon plus précise dans ses principes et ses règles, notamment le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée et la transparence, consistent

a) à éliminer les obstacles au commerce des produits et des services entre les territoires des Parties et à faciliter le mouvement transfrontières de ces produits et services;

b) à favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange;

c) à augmenter substantiellement les possibilités d’investissement sur le territoire des Parties;

d) à assurer de façon efficace et suffisante la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle sur le territoire de chacune des Parties;

e) à établir des procédures efficaces pour la mise en oeuvre et l’application du présent accord, pour son administration conjointe et pour le règlement des différends; et

f) à créer le cadre d’une coopération trilatérale, régionale et multilatérale plus poussée afin d’accroître et d’élargir les avantages découlant du présent accord.

218. Le paragraphe 102(2) prévoit une norme obligatoire d’interprétation des dispositions de l’ALÉNA : « Les Parties interpréteront et appliqueront les dispositions du présent accord à la lumière des objectifs énoncés au paragraphe 1 et en conformité avec les règles applicables du droit international ».

219. Les objectifs susénumérés explicitent l’objet principal de l’ALÉNA, formulé dans son préambule, où les Parties déclarent avoir résolu, entre autres, « de créer un marché plus vaste et plus sûr pour les produits et les services produits sur leurs territoires ».233 Le Groupe spécial doit tenir compte de la perspective de libéralisation des échanges que dessinent ces objectifs clairement formulés et le libellé du préambule. Comme le faisait observer le Groupe spécial saisi de l’affaire des produits agricoles :

[E]n tant qu’accord de libre-échange, l’ALÉNA a comme objectif spécifique l’élimination des barrières commerciales entre les trois Parties contractantes. Les principes et règles selon lesquels les objectifs de l’ALÉNA sont élaborés figurent à l’article 102(1) de l’ALÉNA comme incluant le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée et la transparence. Toute interprétation adoptée par le Comité [c’est-à-dire le Groupe spécial] doit par conséquent promouvoir plutôt que restreindre les objectifs de l’ALÉNA. Les exceptions aux obligations de la libéralisation du commerce doivent forcément être considérées avec prudence.234
Le Groupe spécial note cependant que les Parties expriment aussi dans le préambule de l’ALÉNA leur intention « de préserver leur liberté d’action relativement à la sauvegarde du bien public ».

220. Pour recenser les règles d’interprétation du droit international visées au paragraphe 102(2), le Groupe spécial n’a pas besoin de chercher plus loin que la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969). 235 Les deux Parties contestantes reconnaissent dans la présente espèce l’applicabilité de la Convention de Vienne à cet égard,236 comme l’avaient fait les Parties à un différend antérieur au titre de l’ALÉNA.237 Le principe directeur de cette convention est énoncé à son paragraphe 31(1), ainsi libellé : « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. »

221. Ainsi, outre le sens ordinaire des termes, l’interprétation doit prendre en considération le contexte, l’objet et le but du traité.238 Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte – préambule et annexes inclus – tout accord ayant rapport au traité.239 S’il y a lieu, il sera tenu compte, en même temps que du contexte, de toute pratique ultérieurement suivie et de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.240

222. Si ces critères se révèlent insuffisants, il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation en vertu de l’article 32 de la Convention de Vienne.241 Le Groupe spécial doit donc commencer par établir le sens naturel et ordinaire des termes dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du traité.242 Ce n’est que si le sens ordinaire des termes déterminé par le moyen de l’étude et de l’analyse du contexte semble être en contradiction avec l’objet et le but du traité qu’il pourra être fait appel à d’autres règles de droit international pour interpréter la disposition considérée.243 Dans la présente espèce, le Groupe spécial n’a pas jugé nécessaire de recourir à d’autres règles que celles qui sont énoncées à l’article 31 de la Convention de Vienne.

223. Les dispositions de l’article 31, comme les autres dispositions de la Convention, doivent être appliquées concurremment avec l’article 26, ainsi libellé : « Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi », c’est-à-dire que Pacta sunt servanda. Le Groupe spécial doit interpréter les dispositions du traité faisant l’objet du différend en partant du principe que les Parties s’estiment liées par l’ALÉNA et tenues de remplir de bonne foi les obligations qui en découlent.

224. Enfin, comme les deux Parties contestantes ont fait mention de leurs législations respectives concernant les transports terrestres, le Groupe spécial juge nécessaire de rappeler le principe énoncé à l’article 27 de la Convention de Vienne, selon lequel « [u]ne partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ».244 Cette disposition prescrit au Groupe spécial d’examiner, non pas les lois nationales, mais le droit international applicable. Par conséquent, il ne devrait être fait appel ni au droit interne des États-Unis ni aux lois mexicaines pour interpréter l’ALÉNA.245 Recourir au droit interne aux fins de l’interprétation reviendrait à appliquer un cadre juridique impropre à ces fins.246

B. Réserves aux mesures existantes et engagements de libéralisation – annexe I

1. Positions des Parties

225. Dans son mémoire initial, le Mexique a formulé la thèse selon laquelle « les éléments Élimination progressive des réserves américaines l’emportent sur les réserves elles-mêmes ».247 Le Mexique concluait ainsi la section en question de son mémoire : « Les éléments Élimination progressive des réserves américaines relatives aux services de transport routier ne comportent aucun autre type d’exceptions ».248 Répondant au cours de l’audience à une question d’un membre du Groupe spécial concernant l’interprétation juridique de l’annexe I, le représentant du Mexique a déclaré : « Nous avons déjà cité les dispositions applicables à la question de l’interprétation de l’annexe I. En fait, on peut déduire des passages de la Note introductive qui décrivent les divers éléments en cause et spécifient comment il convient d’interpréter leurs rapports que le calendrier d’élimination progressive prime sur les autres éléments ». 249 Dans son mémoire postérieur à l’audience, le Mexique a en outre déclaré : « L’annexe I n’assortit ces engagements d’aucune condition ».250

226. Au cours de l’audience, un membre du Groupe spécial a dit au représentant des États-Unis : « Je crois comprendre, d’après ce que vous avez dit, que votre interprétation de l’annexe I n’établit pas l’existence d’une obligation ».251 À cette remarque, le représentant des États-Unis a répondu : « C’est exact »252, puis il a ajouté ce qui suit : « Je crois avoir dit qu’il y a un point de vue juridique. L’élimination progressive ne nous obligeait pas, en soi, à faire quoi que ce soit [...] Par conséquent, l’élimination progressive relativement au traitement national signifie seulement qu’on perd le droit, à partir de la date en question, de ne pas remplir des obligations déterminées ».253

227. Dans la section intitulée « Les obligations des États-Unis » de sa communication, le Canada a déclaré ce qui suit :

Les réserves faites par les États-Unis à certaines obligations stipulées aux chapitres 11 et 12 relativement aux mesures non conformes dans le sous-secteur des transports terrestres, réserves formulées aux pages I-U-22 à I-U-25 de l’annexe I de l’ALÉNA, prévoient l’élimination progressive des mesures non conformes susdites [...] À l’expiration de la période d’élimination progressive, les États-Unis sont tenus de remplir les obligations visées par ces réserves, à la seule exclusion de toutes réserves dont l’élimination progressive n’est pas encore achevée et de toutes autres exceptions applicables.254

2. Analyse du Groupe spécial

228. Le Groupe spécial commencera son analyse par un examen de la Note interprétative (ci-après désignée « la Note ») qui figure aux pages I-1 à I-3 de l’annexe I, avant les listes des Parties. La Note a pour objet de faciliter la lecture et l’intelligence des réserves formulées dans l’annexe I. Plus précisément, elle fournit au Groupe spécial des règles et des principes propres à orienter son interprétation des listes du Canada, des États-Unis et du Mexique figurant à l’annexe I, notamment des réserves et des stipulations relatives à l’élimination progressive qui sont applicables au commerce et à l’investissement transfrontières en matière de services de camionnage.

229. La Note est libellée comme suit :

1. La liste d’une Partie énonce les réserves de cette Partie, conformément aux paragraphes 1108(1) (Investissement), 1206(1) (Commerce transfrontières des services) et 1409(4) (Services financiers), au regard des mesures existantes qui contreviennent à une obligation imposée par :

a) l’article 1102, 1202 ou 1405 (Traitement national);

b) l’article 1103, 1203 ou 1406 (Traitement de la nation la plus favorisée);

c) l’article 1205 (Présence locale);

d) l’article 1106 (Prescriptions de résultats); ou

e) l’article 1107 (Dirigeants et conseils d’administration);
et, dans certains cas, mentionne les engagements de libéralisation immédiate ou future.

2. Chacune des réserves établit les éléments suivants :

a) Classification de l’industrie s’entend, s’il y a lieu, de l’activité visée par la réserve, selon les codes nationaux de classification industrielle;

b) Description s’entend, le cas échéant, des engagements de libéralisation devant être exécutés dès l’entrée en vigueur du présent accord et des aspects non conformes des mesures existantes faisant l’objet de la réserve;

c) Élimination progressive s’entend, s’il y a lieu, des engagements de libéralisation devant être exécutés après l’entrée en vigueur du présent accord;

d) Mesures s’entend des lois, règlements ou autres mesures qualifiés au besoin à l’élément Description, qui fait l’objet de la réserve. Une mesure figurant à l’élément Mesures (i) désigne la mesure modifiée, maintenue ou renouvelée à la date d’entrée en vigueur du présent accord, et (ii) comprend toute mesure subordonnée adoptée ou maintenue aux termes de la mesure et conformément à celle-ci;

e) Palier de gouvernement s’entend du palier de gouvernement qui maintient la mesure au titre de laquelle la Partie formule la réserve;

f) Secteur s’entend du secteur général visé par la réserve;

g) Sous-secteur s’entend du secteur particulier visé par la réserve; et

h) Type de réserve s’entend de l’obligation mentionnée au paragraphe 1 qui fait l’objet de la réserve.

3. Pour interpréter une réserve, il faut tenir compte de tous ses éléments. Une réserve doit être interprétée à la lumière des dispositions pertinentes du chapitre visées par la réserve. Dans la mesure

a) où l’élément Élimination progressive prévoit l’élimination progressive des aspects non conformes des mesures, l’élément Élimination progressive prime sur tout autre élément;

b) où l’élément Mesures est subordonné à un engagement de libéralisation de l’élément Description, l’élément Mesures ainsi subordonné l’emporte sur tout autre élément;
255 et

c) où l’élément Mesures n’est pas subordonné à un tel engagement, ce dernier élément l’emporte sur tout autre élément, à moins qu’il ne se produise des incompatibilités entre les mesures figurant à l’élément Mesures et les autres éléments dans leur ensemble, et que ces incompatibilités soient si importantes qu’il ne serait pas raisonnable de conclure que l’élément Mesures doit l’emporter, auquel cas les autres éléments priment pour ce qui est de l’incompatibilité constatée.

4. Lorsqu’une Partie maintient une mesure en vertu de laquelle un fournisseur de services doit être un citoyen, un résident permanent ou un résident de son territoire afin de pouvoir offrir un service sur ce territoire, toute réserve concernant une mesure prise au titre des articles 1202, 1203 ou 1205 ou des articles 1404, 1405 ou 1406 aura les mêmes effets qu’une réserve concernant les articles 1102, 1103 ou 1106 quant à la portée de cette mesure.

230. Fait à souligner, la Note porte que, pour interpréter les engagements de libéralisation relatifs aux éléments Élimination progressive de l’annexe I, les éléments de la réserve doivent être interprétés à la lumière des dispositions pertinentes du chapitre visées par la réserve256 et que l’élément Élimination progressive d’une réserve prime sur tout autre élément de celle-ci.257

231. Étant donné son importance dans la présente espèce, nous citerons intégralement la réserve en cause, formulée dans la liste des États-Unis aux pages I-U-22 à I-U-25 de l’annexe I :

Secteur: Transports

Sous-secteur:
Transport terrestre

Classification de l’industrie:
SIC 4213 – Camionnage, sauf le camionnage local

SIC 4215 – Services de messagerie, sauf par voie aérienne

SIC 4131 – Transport rural et interurbain par autobus

SIC 4142 – Service d’autobus nolisé, sauf le transport local

SIC 4151 – Autobus scolaires (seulement pour le transport entre États non relié aux activités scolaires)

Type de réserve:
Traitement national (articles 1102, 1202) Traitement de la nation la plus favorisée (articles 1103, 1203)

Présence locale (article 1205)

Palier de gouvernement:
Fédéral

Mesures:
49 U.S.C. §10922(l)(1) et (2);
49 U.S.C. §10530(3);
49 U.S.C. §§ 10329, 10330 et 11705;
19 U.S.C. §1202;
49 C.F.R. §1044

Memorandum of Understanding Between the United States of America and the United Mexican States on Facilitation of Charter/Tour Bus Service, 3 décembre 1990.
Selon les conditions énoncées au paragraphe 2 de l’élément Description.

Description:
Services transfrontières

1. Un permis d’exploitation de l’Interstate Commerce Commission (ICC) est nécessaire pour fournir en location, sur le territoire des États-Unis, des services entre États ou transfrontières de transport par autobus ou camion. Un moratoire sur l’attribution de nouveaux permis d’exploitation aux personnes du Mexique demeure en vigueur.

2. Le moratoire ne s’applique pas à la prestation de services transfrontières d’autobus nolisés ou d’excursions par autobus.

3. En vertu du moratoire, les personnes du Mexique sans permis d’exploitation ne peuvent opérer des services qu’à destination ou en provenance des zones commerciales frontalières de l’ICC, pour lesquelles un permis d’exploitation de l’ICC n’est pas requis. Les personnes du Mexique qui fournissent des services de camionnage (notamment des services de location, des services privés et des services exemptés) sans permis d’exploitation sont tenues d’obtenir un certificat d’immatriculation de l’ICC pour entrer aux États-Unis et pour opérer des services à destination ou en provenance des zones commerciales frontalières de l’ICC. Les personnes du Mexique qui fournissent des services d’autobus ne sont pas tenues d’obtenir un certificat d’immatriculation de l’ICC pour fournir de tels services à destination ou en provenance des zones commerciales frontalières de l’ICC.

4. Seules des personnes des États-Unis utilisant des camions ou des autocars inscrits aux États-Unis et soit des équipements construits aux États-Unis, soit des équipements pour lesquels les droits applicables ont été payés peuvent fournir des services de transport par camions ou autocars entre des points situés sur le territoire des États-Unis.

Investissement

5. Le moratoire a l’effet d’une restriction à l’investissement puisque les entreprises des États-Unis qui fournissent des services de transport par autobus ou par camion et qui sont détenues ou contrôlées par des personnes du Mexique ne peuvent obtenir un permis d’exploitation de l’ICC.

Élimination progressive : Services transfrontières

Une personne du Mexique sera autorisée à obtenir un permis d’exploitation pour fournir:

a) trois ans après la signature de l’accord, des services transfrontières de transport par camion à partir des États frontaliers ou vers les États frontaliers (Californie, Arizona, Nouveau-Mexique et Texas), et ces personnes seront autorisées à entrer sur le territoire des États-Unis et à quitter ce territoire par des points d’entrée et de sortie différents;
b) trois ans après l’entrée en vigueur de l’accord, des services transfrontières réguliers de transport par autobus; et
c) six ans après l’entrée en vigueur de l’accord, des services transfrontières de transport par camion.

Investissement

Une personne du Mexique sera autorisée à établir une entreprise aux États-Unis pour fournir :

a) trois ans après la signature de l’accord, des services de transport par camion pour le transport de marchandises internationales entre des points aux États-Unis; et
b) sept ans après l’entrée en vigueur de l’accord, des services de transport par autobus entre des points aux États-Unis.

Le moratoire demeurera en vigueur pour les permis d’exploitation visant les services de transport par camion fournis par des personnes du Mexique entre des points aux États-Unis pour le transport de produits autres que les chargements internationaux.

232. Selon l’annexe I, les dispositions pertinentes au regard des réserves sont les articles 1102 (traitement national en matière d’investissement), 1202 (traitement national en matière de commerce transfrontières des services), 1103 (traitement de la nation la plus favorisée en matière d’investissement), 1203 (traitement de la nation la plus favorisée en matière de commerce transfrontières des services) et 1205 (présence locale en matière de commerce transfrontières des services).

233. Le Groupe spécial tient à souligner que le texte même des paragraphes 1108(1) (investissement) et 1206(1) (commerce transfrontières des services) permet explicitement aux Parties de formuler des réserves à l’annexe I respectivement en matière d’investissement et de commerce transfrontières des services. La Note confirme non moins explicitement que les réserves formulées à l’annexe I le sont au regard des mesures existantes qui contreviennent à une obligation imposée par : a) les articles 1102 et 1202 (traitement national) ou b) les articles 1103 et 1203 (traitement de la nation la plus favorisée). En outre, la Note permet aussi aux Parties à l’annexe I d’énoncer des engagements de libéralisation immédiate ou future.258

234. La Note stipule que, pour l’application de l’annexe I, l’élément Mesures s’entend des lois, règlements ou autres mesures qualifiés au besoin à l’élément Description, qui fait l’objet de la réserve. Chose plus importante encore, la Note prévoit explicitement une hiérarchie de règles pour l’interprétation des réserves convenues. L’alinéa 3.b) porte que, dans le cas où l’élément Mesures est subordonné à un engagement de libéralisation de l’élément Description, l’élément Mesures ainsi subordonné l’emporte sur tout autre élément.259

235. Lu à la lumière de la Note, le texte des éléments Élimination progressive de l’annexe I concernant aussi bien la libéralisation du commerce transfrontières des services de camionnage que celle de l’investissement international dans les services de camionnage est dénué d’ambiguïté si l’on s’en tient au sens ordinaire des termes. Les dispositions pertinentes de l’annexe I prévoient des dates précises pour la libéralisation du commerce transfrontières des services (18 décembre 1995) et de l’investissement international (18 décembre 1995) en matière de transports terrestres. Ni les clauses relatives à l’élimination progressive de l’annexe I ni leur contexte ne donnent à penser que l’engagement de supprimer les réserves le 18 décembre 1995 soit subordonné à un autre élément, quel qu’il soit, des réserves ou de la Note. Il n’existe, à la connaissance du Groupe spécial, aucun accord lié à l’ALÉNA ni aucun principe juridique ou pratique ultérieure qui puisse étayer l’idée que l’exécution des engagements de libéralisation soit subordonnée à une condition. Il s’ensuit que les engagements de libéralisation pris à l’annexe I sont inconditionnels. Toute autre interprétation serait en contradiction avec le texte de l’ALÉNA.

236. Qui plus est, les négociateurs de l’ALÉNA ont apparemment examiné avec beaucoup d’attention le caractère, le but et le mode d’établissement et d’adoption des réserves et des engagements de libéralisation au regard de l’élément Élimination progressive.260 Le titre même de l’annexe I exprime la volonté des Parties : « Réserves aux mesures existantes et engagements de libéralisation ». Les réserves examinées comprenaient les éléments suivants : secteur, sous-secteur, classification de l’industrie, type de réserve, palier de gouvernement, mesures, description et élimination progressive. Il n’y a pas d’ambiguïtés. Les réserves et leur libéralisation sont très bien définies. Les Parties sont convenues non seulement des réserves qu’elles estimaient acceptables, mais aussi des engagements d’élimination progressive de ces réserves. Le libellé de l’annexe I est à cet égard aussi clair que complet.

237. En outre, le Groupe spécial est conscient du fait que les réserves en matière de transports terrestres formulées à l’annexe I sont contraires à l’objectif principal de l’ALÉNA tel qu’il est énoncé dans le préambule de celui-ci et constituent aussi des obstacles à la réalisation des objectifs concrets dont les Parties sont convenues au paragraphe 102(1). De telles réserves étaient vraisemblablement conçues comme un élément structurel nécessaire pour faciliter la constitution d’une zone de libre-échange, but final de l’ALÉNA.261 À ce propos, le Groupe rappelle le principe juridique séculaire suivant lequel exceptio est strictissimae applicationis, dont il a été déduit par d’autres instances que les réserves aux obligations découlant des traités doivent faire l’objet d’une interprétation stricte.262

238. Le Groupe spécial estime qu’il faut donner aux clauses d’élimination progressive relatives aux réserves l’entière primauté sur tous les autres éléments de l’annexe I. Ce principe juridique est solidement établi en droit international. La Cour permanente de Justice internationale a postulé dans un de ses arrêts qu’une disposition de traité doit l’emporter sur une règle générale de droit international. Plus récemment, ce principe a été adopté par l’Organe d’appel de l’OMC, qui a confirmé la décision d’un groupe spécial selon laquelle le principe de précaution ne pouvait être invoqué pour justifier une dérogation à des obligations expressément prévues dans un traité.264

239. Par conséquent, le Groupe spécial est d’avis que la mise en oeuvre des clauses très concrètes d’élimination progressive des réserves n’est dans la présente espèce subordonnée à aucun autre élément.265 Si les Parties avaient souhaité subordonner les engagements de libéralisation prévus aux éléments Élimination progressive de l’annexe I à une procédure d’acceptation ultérieure ou à une autre condition, elles auraient employé – ou auraient pu employer – d’autres termes. Le Groupe spécial estime que les éléments Élimination progressive de l’annexe I doivent l’emporter sur tous les autres éléments spécifiés à cette annexe. Les États-Unis n’ont démontré l’existence d’aucun motif valable du non-respect des engagements de libéralisation du commerce des services et de l’investissement en matière de transports terrestres qu’ils ont contractés à l’annexe I.

240. Les obligations d’élimination progressive découlant pour les États-Unis de l’annexe I pour ce qui concerne les services et l’investissement transfrontières dans le secteur du camionnage l’emportent donc, à moins qu’on ne puisse trouver dans l’ALÉNA d’autres dispositions qui permettent de déroger à ces obligations. Ce sont ces autres dispositions que le Groupe spécial va maintenant examiner.
 

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