Quoi de neuf? - Index - Calendrier
Accords commerciaux - Processus de la Zlea
Théme du Commerce
English - español - português
Recherche

DANS L'AFFAIRE DES
MESURES DE SAUVEGARDE AMÉRICAINES PRISES
RELATIVEMENT AUX BALAIS EN PAILLE DE SORGHO DU MEXIQUE

(Continuation)

(USA-97-2008-01)

devant le groupe spécial constitué en vertu du chapitre vingt
de l'Accord de libre-échange nord-américain

Rapport final du groupe spécial

30 janvier 1998

 

Paul O'Connor (président)
Raymundo Enriquez
Dionisio Kaye
John H. Barton
Robert E. Hudec


III. CONSTATATIONS

Questions préliminaires

1. Examen des obligations en vertu de l'Accord général/OMC : compétence du groupe spécial

49. On se rappellera que les États-Unis ont soutenu que le groupe spécial n'avait pas compétence pour statuer sur les allégations du Mexique fondées sur les obligations définies dans l'article XIX de l'Accord général et dans l'Accord sur les sauvegardes de l'OMC — obligations en vertu de l'Accord général/OMC qui régissent le type de mesures de sauvegarde globales en jeu dans cette affaire.

50. Le groupe spécial a déterminé qu'il n'était pas nécessaire de trouver une solution à cette objection préliminaire, parce qu'il était possible de résoudre les questions faisant l'objet d'un litige en vertu de l'ALENA seulement. Après avoir examiné à fond les allégations juridiques du Mexique en vertu des dispositions de sauvegarde de l'Accord général/OMC et des dispositions de sauvegarde de l'ALENA qui s'appliquent également aux mesures de sauvegarde globales, le groupe spécial est venu à la conclusion que le différend pouvait être résolu en vertu de la règle qui est énoncée, pratiquement en termes identiques, dans le paragraphe 803.3(12) de l'ALENA et dans l'article 3.1 du Code de sauvegardes de l'OMC — règle obligeant l'organisme d'enquête à publier un rapport dans lequel il expose ses constatations et ses conclusions, dûment motivées, sur tous les points pertinents de droit et de fait 46 . Étant donné que le texte de la règle est à peu près le même dans l'ALENA et dans l'OMC, l'application de la version de l'OMC de la règle n'aurait aucunement modifié la conclusion juridique à laquelle on est parvenu en vertu du paragraphe 803.3(12) de l'ALENA. Par conséquent, le groupe spécial a choisi de fonder sa décision entièrement sur le paragraphe 803.3(12) de l'ALENA, sans référence aucune à l'article 3.1 du Code de sauvegardes de l'OMC. Le groupe spécial n'a donc pas eu à faire de détermination ayant trait à l'objection préliminaire des États-Unis à propos de la compétence du groupe spécial à examiner les dispositions de l'Accord général/OMC mentionnées dans l'article 802 de l'ALENA.

2. Présentation d'avis suffisants d'allégations

51. On se rappellera que les États-Unis ont soutenu que les seules allégations juridiques recevables que le Mexique avait présentées devant ce groupe spécial étaient ses allégations juridiques fondées sur les articles 802 et 805 de l'ALENA. D'après l'argument des États-Unis, les allégations juridiques en vertu d'autres articles de l'ALENA — spécialement les allégations ayant trait aux exigences en matière de procédures de l'article 803 et de l'annexe 803.3 — ne pourraient être prises en considération par le groupe spécial, parce que le Mexique n'a pas donné des avis suffisants d'allégations dans sa demande de consultations du 21 août 1996 et dans sa demande de convocation de la Commission du 25 novembre 1996. En particulier, ont soutenu les États-Unis, le fait que le Mexique n'ait pas mentionné l'article 803 dans sa demande du 25 novembre 1996 portant sur une convocation de la Commission signifie que les allégations juridiques en vertu de l'article 803 et de l'annexe 803.3 n'entraient pas dans le mandat du groupe spécial.

52. En réponse, le Mexique a soutenu que la suffisance des avis doit être jugée sur le fait que ces avis informent convenablement l'autre partie des allégations juridiques avancées. Selon le point de vue du Mexique, son assertion selon laquelle l'ITC a défini la mauvaise « branche de production nationale » englobait nécessairement tous les aspects de la détermination de l'ITC relativement à cette question, non seulement le critère juridique lui-même, mais aussi l'application de ce critère aux faits propres à l'affaire, y compris les différents éléments du processus décisionnel de l'ITC abordés dans l'article 803 et dans l'annexe 803.3 de l'ALENA.

53. Le groupe spécial a de façon générale souscrit à l'affirmation des États-Unis selon laquelle un avis suffisant doit être donné relativement aux allégations juridiques à prendre en considération dans le règlement d'un différend. Toutefois, dans son évaluation de la suffisance de l’avis réellement donné, il n'a pu reconnaître l'importance déterminante que les États-Unis avaient attachée à la citation de dispositions particulières de l'ALENA. Les normes de l'OMC visant à déterminer la suffisance d'un avis nécessitent une évaluation plus concrète de l'avis que celle qui a été faite. L'article 6:2 du Mémorandum d'accord sur le règlement des différends de l'OMC précise que les demandes d'établissement d'un groupe spécial doivent « contenir un bref exposé du fondement juridique de la plainte, qui doit être suffisant pour énoncer clairement le problème ». En appliquant cette norme, le groupe spécial dans l'affaire de la noix de coco déshydratée a déclaré ce qui suit.

Le Groupe spécial estime qu'il aurait fallu au minimum qu'il puisse, sur la base d'une lecture raisonnable des documents déterminant la portée du mandat [du groupe spécial], conclure qu'il lui serait demandé de faire des constatstions au sujet du fait que le Brésil n'avait pas engagé de consultations 47 .

Les États-Unis estimaient que la norme de suffisance de l'avis qui découle des paragraphes 2012(3) et 2007(3) de l'ALENA est plus stricte que la norme de l'OMC 48 , mais le groupe spécial n'a pas été convaincu que l'exigence du paragraphe 2007(3) — selon laquelle la demande du plaignant portant sur une convocation de la Commission « mentionne(ra) les dispositions du présent accord qu'elle juge pertinentes » — doit être comprise comme une obligation stricte de citer toutes les dispositions pertinentes, si clairement que la description de l'allégation juridique indique son applicabilité. Le libellé des paragraphes 2012(3) et 2007(3) ne force pas une interprétation aussi contraignante et une telle interprétation n'est aucunement nécessaire pour répondre à une exigence relative à un avis.

54. Dans cette affaire, le Mexique a exprimé clairement, depuis le début, que sa principale allégation juridique était que l'ITC était parvenue à une conclusion erronée, eu égard à sa détermination de la « branche de production nationale », en excluant les producteurs américains de balais de matière plastique 49 . Lorsqu'on évalue une détermination qui applique une notion
juridique telle que « branche de production nationale » et des notions constituantes telles que « produit similaire » et « produit directement concurrent », il est presque impossible de séparer la norme juridique abstraite de son application aux faits particuliers de l'affaire en cause. Ce n'est qu'en examinant l'application que fait le décideur du critère juridique aux faits particuliers d'une affaire qu'un groupe spécial d'examen peut déterminer si la norme juridique appropriée a été appliquée. Ce faisant, un groupe spécial doit nécessairement examiner non seulement la norme juridique énoncée clairement par l'organisme d'enquête lui-même, mais aussi le processus décisionnel suivant lequel la norme a été appliquée, les facteurs ou les critères pris en considération et les faits que l'organisme de prise de décision a estimé suffisants ou insuffisants pour respecter la norme. Le fait que l'ALENA contient des dispositions précises relatives aux éléments détaillés de ce processus décisionnel ne fait pas de ce dernier une question juridique distincte de l'allégation centrale selon laquelle il y a erreur.

55. La question de savoir si un avis sur une question juridique établie au moyen d'une citation d'une disposition d'un accord comprend à juste titre un avis sur des questions connexes explicitement traitées dans une autre disposition de cet accord est une question qui dépendra toujours des relations entre les questions juridiques particulières en cause. Dans ce cas, le groupe spécial estime que les questions juridiques définies par une allégation d'erreur de droit dans l'application de la notion de « branche de production nationale » définie par référence aux articles 802 et 805 de l'ALENA comprennent nécessairement les questions juridiques plus précises traitées dans l'article 803 et dans l'annexe 803.3 de l'ALENA. Le groupe spécial estime par conséquent que l'avis donné par le Mexique relativement à sa demande de consultations du 21 août 1996 et à sa demande de convocation de la Commission du 25 novembre 1996 était un avis suffisant des allégations juridiques du Mexique en vertu de l'article 803 et de l'annexe 803.3 de l'ALENA. Étant donné que le même avis suffisant a été donné dans le cadre des deux communications, il n'est pas nécessaire de décider si, dans les deux cas, un tel avis était nécessaire.

56. Pour conclure, le groupe spécial doit rejeter l'objection préliminaire soumise par les États-Unis relativement à la suffisance de l'avis donné par le Mexique. Par conséquent, le groupe spécial conclut que son mandat l'autorise à examiner les allégations juridiques du Mexique en vertu de l'article 803 et de l'annexe 803.3 de l'ALENA et qu'il n'est pas autrement empêché d'examiner ces allégations juridiques.

3. Exigences du processus : critères d'examen

57. Le groupe spécial a examiné attentivement les autres arguments des parties à propos des critères d'examen que le groupe spécial était tenu d'appliquer, en évaluant différents éléments de la détermination de l'ITC. Le groupe spécial a toutefois réservé son jugement sur ces questions jusqu'à ce qu'il soit possible de déterminer quels points de désaccord devraient en fait être résolus, pour parvenir à une décision dans cette affaire. Comme l’expliquent les paragraphes 67 à 77, l'examen préliminaire du groupe spécial des questions propres à cette affaire a forcé le groupe à conclure que d'autres problèmes, plus fondamentaux, éliminaient la nécessité d'aborder les questions de fait plus détaillées sur lesquelles portaient les arguments liés aux critères d'examen des parties. Par conséquent, le groupe spécial n'a pas rendu de conclusion distincte sur les questions liées aux critères d'examen soulevées par les parties.

Mérites

58. Les dispositions relatives aux mesures d'urgence (sauvegardes) de l'ALENA, énoncées dans les articles 801 à 805, définissent deux procédures de sauvegarde. Une de ces procédures (article 801) correspond à des mesures bilatérales conçues pour le cas où les importations en provenance d'un partenaire de l'ALENA sont la principale source d'importations qui peuvent menacer une branche de production nationale. L'autre (article 802) protège le droit des Parties d’appliquer les sauvegardes de l'OMC sur une base globale. Ce dernier type correspond à l'article de l'ALENA qui autorise les mesures de sauvegarde en jeu dans la présente affaire.

59. Comme on l’a expliqué précédemment, en parvenant à une détermination selon laquelle les importations croissantes de balais en paille de sorgho avaient causé un préjudice grave à une « branche de production nationale » qui produisait un produit « similaire ou directement concurrent », le rapport de l'ITC a défini la « branche de production nationale » américaine touchée comme incluant les fabricants américains de balais en paille de sorgho, mais non les fabricants américains d'autres types de balais 50 . Compte tenu du fait que, durant la période visée par l'enquête, il y a eu un déplacement de la production nationale de balais, qui est passée des balais en paille de sorgho aux balais de matière plastique 51 , cette définition de la branche de production nationale a accru la possibilité de constater un préjudice. Quant à savoir si cette définition était conforme au traité de l'ALENA, il s'agit d'une question centrale dans cette affaire.

60. Étant donné que la conclusion de l'ITC selon laquelle les balais en paille de sorgho fabriqués aux États-Unis sont « similaires » aux balais en paille de sorgho importés qui font l'objet de cette enquête — ils sont en effet identiques — ne suscite aucun désaccord, le seul problème lié à la définition de la « branche de production nationale » dans ce cas est de déterminer si les balais de matière plastique fabriqués aux États-Unis sont « similaires » aux balais en paille de sorgho importés « ou directement concurrents ». C'est le sens et les implications exactes de l'expression « similaire ou directement concurrent » qui déterminent la controverse devant le groupe spécial.

61. L'ITC a décidé que la branche de production nationale correspondait aux producteurs nationaux de balais en paille de sorgho et à ces producteurs seulement. Le texte intégral de l'explication de cette conclusion de l'ITC est reproduit au paragraphe 24 qui précède. L'explication de l'ITC peut être interprétée comme reposant sur une conclusion secondaire selon laquelle les balais de matière plastique ne sont pas « similaires » aux balais en paille de sorgho importés qui étaient visés par les mesures de sauvegarde. Plusieurs éléments de l'explication de l'ITC donnaient beaucoup de poids à ces incidences. L'ITC a commencé son analyse en expliquant que dans sa détermination de la « branche de production nationale » elle a toujours eu recours à une approche à multiples facteurs qui prenait en compte des facteurs tels que « les propriétés physiques de l'article, le traitement en douane, le lieu et le mode de fabrication (c'est-à-dire dans une installation distincte), les utilisations et les circuits de commercialisation » 52 . Le premier, le deuxième et le quatrième de ces facteurs sont des facteurs qui ont été examinés dans la plupart des applications de la notion de « produit similaire » par les groupes spéciaux institués en vertu de l'Accord général/OMC. L'impression que ces facteurs définissaient une analyse de « produits similaires » a été renforcée par la conclusion explicite de l'ITC selon laquelle les balais en paille de sorgho fabriqués au pays sont « similaires » aux balais en paille de sorgho importés. Lorsqu'elle est juxtaposée à l'orientation apparente de « produit similaire » de l'analyse factorielle de l'ITC et à la conclusion explicite de « similarité » pour ce qui est des balais en paille de sorgho, la conclusion définitive de l'ITC selon laquelle les balais de matière plastique fabriqués au pays pourraient ne pas être inclus dans la branche de production nationale pourrait très bien être interprétée naturellement comme une conclusion selon laquelle les balais de matière plastique n'étaient « pas similaires » aux balais en paille de sorgho, étant donné, spécialement, que cette conclusion avait été expliquée en faisant ressortir les différences entre les balais de matière plastique et les balais en paille de sorgho. Cette conséquence a été renforcée encore davantage du fait que l'ITC n'a jamais mentionné d’autre critère juridique en vertu duquel on aurait pu tirer la conclusion relativement aux balais de matière plastique.

62. Dans leur première présentation au groupe spécial, les deux parties ont défini la question juridique soumise au groupe spécial en se fondant sur la même hypothèse relative à la décision de l'ITC. Les deux parties ont défini la question soumise au groupe spécial comme une question devant permettre de déterminer si la conclusion de l'ITC était ou n'était pas une application correcte de la notion de « produit similaire ». Plus précisément, le Mexique a soutenu que « les balais de matière plastique et les balais en paille de sorgho étaient des produits similaires » 53 . Les États-Unis ont résumé une conclusion importante dans leur présentation « ...l'ITC en est venue raisonnablement à la conclusion selon laquelle le produit « similaire » aux balais en paille de sorgho importés était les balais en paille de sorgho du pays » 54 . Le groupe spécial lui-même a reconnu le bien-fondé de cette hypothèse durant et immédiatement après l'audience orale du 9 septembre 1997, jusqu'au point d'élaborer une série de questions demandant aux parties une plus grande précision dans leurs arguments juridiques au sujet de la signification de la notion de « produit similaire ».

63. Durant les délibérations et l'analyse qui ont suivi, il est devenu évident pour le groupe spécial que l'ITC n'avait jamais fait savoir explicitement que sa conclusion excluant les balais de matière plastique de la branche de production nationale reposait en fait sur une analyse des « produits similaires ». En décrivant les cinq facteurs qu'elle a toujours appliqués dans sa définition de la « branche de production nationale », l'ITC n'a jamais en fait déclaré que ces cinq facteurs devaient servir à déterminer la question de savoir si les produits en question étaient des « produits similaires ». L'ITC a plutôt déclaré que ces facteurs devaient servir à déterminer si les produits en question étaient « des produits similaires ou directement concurrents » 55 . Cette description de la question en des termes purement juridiques ne permet pas d'établir clairement si les cinq facteurs portent d'une certaine manière sur une des deux questions distinctes ou sur les deux — la « similarité » ou la « concurrence directe » — ou si ces facteurs portent par ailleurs sur un autre critère juridique distinctif dans le cadre duquel l'expression « similaire ou directement concurrent » est simplement une expression spécialisée — un critère juridique qui ne porte ni sur la « similarité » ni sur la « concurrence directe », mais qui vise une ou plusieurs autres notions, par exemple une notion telle que la « branche de production ». La conclusion définitive de l'ITC ne clarifie en aucune manière cette ambiguïté. Sa conclusion définitive s'est limitée simplement à réaffirmer la conclusion selon laquelle les producteurs nationaux de balais en paille de sorgho, et seuls ces producteurs, forment, dans cette affaire, la « branche de production nationale » pertinente.

64. Les réponses écrites du Mexique aux questions du groupe spécial ont attiré l'attention du groupe spécial sur cette ambiguïté dans l'explication qu'a donnée l'ITC de ses conclusions, mais le Mexique a continué de demander que le groupe spécial rende une décision relativement à la question de savoir si les balais de matière plastique étaient « similaires » aux balais en paille de sorgho importés 56 . En guise de question initiale, la demande du Mexique était tout à fait pertinente sur le plan juridique. On peut soutenir que la conclusion définitive à laquelle est parvenue clairement l'ITC — à savoir que les balais de matière plastique ne faisaient pas partie de la branche de production nationale pour les fins de l'analyse portant sur la possibilité de causer un préjudice grave — soulève nécessairement la question des « produits similaires » pour ce qui est de la relation entre les balais en paille de sorgho et les balais de matière plastique. Les deux parties ont semblé convenir que, en vertu des lois de l'Accord général/OMC, les balais de matière plastique fabriqués aux États-Unis ne pouvaient pas n’être pas considérés comme appartenant à la même « branche de production nationale » que les balais en paille de sorgho fabriqués aux États-Unis, si ces balais de matière plastique étaient « similaires » aux balais en paille de sorgho importés 57 . Si cela était le cas, la conclusion définitive de l'ITC, qui exclut les balais de matière plastique de la branche de production nationale pertinente, ne pourrait être exacte, en vertu des lois de l'Accord général/OMC, à moins que les balais de matière plastique ne soient « pas similaires » aux balais en paille de sorgho.

65. Le groupe spécial a examiné attentivement la question de savoir s'il était possible de parvenir à une conclusion établissant que les balais de matière plastique étaient « similaires » ou « non similaires » aux balais en paille de sorgho importés, même si des doutes persistaient, pour ce qui est de savoir si la décision de l'ITC était en fait fondée sur la notion de « produit similaire ».

Le groupe spécial a cherché à déterminer si les facteurs pris en compte par l'ITC dans son analyse étaient des facteurs qui auraient pu être applicables à une analyse de « produits similaires », si l'ITC n'a pas pris en considération des facteurs essentiels à une analyse de « produits similaires », si les conclusions de l'ITC relatives à des facteurs particuliers étaient légales en tant qu'éléments d'une analyse de « produits similaires » et si les conclusions secondaires de l'ITC et ses conclusions globales pouvaient être jugées raisonnables en vertu des critères d'examen applicables.

66. En tentant de faire cette analyse, le groupe spécial a examiné attentivement la manière dont la notion de « produit similaire » avait été définie dans des décisions antérieures de l'Accord général/OMC et noté, en particulier, le degré de discrétion accordé aux gouvernements et aux groupes spéciaux dans l'application de ces définitions. Il a fait remarquer, par exemple, que, comme on peut le voir dans l'affaire Japon — Taxes sur les boissons alcooliques, un examen des facteurs a été utilisé.

Le Groupe spécial a noté que tous les groupes spéciaux et groupes de travail antérieurs ayant traité la question avaient conclu que l'expression « produits similaires » devait être interprétée cas par cas. Le Groupe spécial a en outre noté que les groupes spéciaux antérieurs n'avaient pas établi un critère particulier devant être strictement appliqué pour définir la similarité. Les groupes antérieurs avaient utilisé des critères différents pour établir la similarité, tels que les propriétés, la nature et la qualité du produit et ses utilisations finales; les goûts et habitudes des consommateurs variables d'un pays à l'autre et la classification du produit dans les nomenclatures tarifaires 58 .

Le groupe spécial a également signalé que, dans la même affaire, l'organe d'appel avait expliqué le degré de discrétion en cause au moyen de l'application de l'examen des facteurs que nous venons d'exposer.

En appliquant [les trois premiers facteurs énumérés dans la citation précédente] aux faits de n'importe quelle affaire particulière et en considérant d'autres critères qui peuvent aussi être pertinents dans certaines affaires, les groupes spéciaux ne peuvent qu'appliquer leur meilleur jugement pour déterminer si, en fait, les produits sont « similaires ». Une telle façon de faire nécessitera toujours un élément inévitable de jugement discrétionnaire 59 .

De même, le groupe spécial a noté la mesure dans laquelle la définition de l'organe d'appel de la « similarité » indiquait que la définition pouvait varier selon les dispositions de l'OMC, compte tenu du contexte juridique dans lequel elle était utilisée.

La notion de « similarité » s'étend et se rétrécit en différents lieux, selon que différentes dispositions de l'accord de l'OMC sont appliquées. L'ampleur que prend la notion, en n'importe lequel de ces endroits, doit être déterminée par la disposition particulière et les circonstances qui ont cours dans n'importe quel cas donné auquel la disposition peut s'appliquer 60 .

67. À mesure que le groupe spécial poursuivait son analyse, il devenait évident que la question de la rectitude juridique — selon que l'analyse offerte par l'ITC à l'appui de sa conclusion définitive aurait été erronée, à un ou à plusieurs égards, si elle avait été offerte à l'appui de la conclusion juridique selon laquelle les balais de matière plastique ne sont « pas similaires » aux
balais en paille de sorgho — dépendrait du fait que l'évaluation et la pondération des différents facteurs par l'ITC était dans les limites de la discrétion permise, selon la méthode du cas par cas et les définitions à multiples facteurs utilisées dans les définitions de « produit similaire » de l'Accord général/OMC.

68. Toutefois, le groupe spécial a été forcé de conclure qu'il ne serait pas approprié, ou même cohérent d'un point de vue logique, de résoudre les points en litige en se fondant sur le fait que l'ITC aurait pu en décider ainsi, dans l'exercice de la discrétion permise en vertu de ces définitions de l'expression « produit similaire », lorsqu'il n'y avait pas de moyen de savoir si l'ITC appliquait, en fait, un tel critère de « produit similaire » ou utilisait consciemment le type de discrétion autorisée. Bref, une tentative d'examen de la détermination de l'ITC, d'après ce fondement hypothétique, comme s'il s'était agi d'une détermination de « produit similaire », aurait été une manière indéfendable d'examiner une décision touchant les sauvegardes en vertu du chapitre vingt de l'ALENA. Par conséquent, la conclusion définitive du groupe spécial n'était pas que la décision de l'ITC était juridiquement correcte ou incorrecte, en tant qu'application de la notion de « produit similaire », mais plutôt que l'explication juridique de l'ITC était simplement inadéquate pour permettre d'examiner cette question.

69. Un groupe spécial constitué en vertu de l'Accord général s’est trouvé en présence d’une situation similaire dans l'affaire des importations de polyacétal, où l’on a demandé au groupe d'examiner une détermination anti-dumping prononcée par la Commission du commerce coréenne (Korean Trade Commission ou KTC), qui n'a pas réussi à éclaircir les motifs sur lesquels s'était fondée la Commission pour déterminer un cas de « préjudice matériel ». Le groupe spécial a déclaré ce qui suit.

Si la détermination examinée par le Groupe spécial résultait de constatations positives fondées sur des critères de préjudice différents, il était nécessaire, pour que le Groupe spécial puisse examiner dûment la conformité de ces constatations avec le [Code anti-dumping de 1979], que cette détermination contienne des conclusions spécifiques relatives à chacun de ces critères et une argumentation suffisante pour expliquer en quoi les éléments qui y étaient analysés avaient un rapport avec chaque critère particulier. En conséquence, pour que le Groupe spécial puisse examiner la détermination de l'existence d'un préjudice établie par la KTC par rapport au regard des critères énoncés à l'article 3 [du Code anti-dumping de 1979], il lui fallait tout d'abord être convaincu que cette détermination était suffisamment claire au regard du ou des critère(s) du préjudice sur lequel ou lesquels la KTC avait fondé ses conclusions. C'était donc à bon droit que cette question était soumise à l'examen du Groupe spécial, que les États-Unis l'aient soulevée ou non sous cette forme préalablement à la procédure de règlement du différend 61 .

70. Le groupe spécial sur les polyacétals a conclu que le fait que la KTC n'ait pas réussi à énoncer clairement le fondement de sa décision a contrevenu aux dispositions de l'article 8.5 du Code anti-dumping de 1979, lequel obligeait les autorités chargées de l'enquête à inclure dans leur détermination publique « les constatations et les conclusions établies sur tous les points de fait et de droit considérées comme pertinents par les autorités chargées de l'enquête, ainsi que les raisons et le fondement desdites constatations et conclusions » 62 . De plus, comme l’explique le texte cité précédemment, le groupe spécial s'est senti obligé de tirer cette conclusion, même si l'ambiguïté néfaste de la détermination de la KTC n'avait pas été soulevée par la partie plaignante avant même que le groupe spécial s'y intéresse.

71. Dans la présente affaire, le groupe spécial est obligé de tirer la même conclusion. Une explication claire du fondement juridique de déterminations telles que la détermination de l'ITC sur la « branche de production nationale » est une condition essentielle d'un examen efficace des mesures de sauvegarde par un groupe spécial constitué en vertu du chapitre vingt; et un examen efficace est lui-même essentiel à la réalisation de l'objectif contenu dans le préambule de l'ALENA, qui vise à « établir une réglementation claire et mutuellement avantageuse ... des échanges commerciaux [des Parties] ». Par conséquent, l'insuffisance de l'explication de l'ITC de sa détermination sur la « branche de production nationale » doit être considérée comme également incompatible avec les dispositions parallèles du paragraphe 803.3(12) de l'ALENA, qui prévoit que les déterminations de sauvegarde fournissent « [des] constatations et [des] conclusions, dûment motivées, sur tous les points pertinents de droit et de fait ». En outre, même si l'insuffisance de la détermination de l'ITC à cet égard n'a pas été soulevée avant les derniers stades de ces procédures ni entièrement expliquée par les parties 63 , le groupe spécial a été obligé de rendre une décision sur la question pour se dégager de ses responsabilités de statuer sur les allégations d'erreur de droit qui avaient été soulevées avec raison en vertu d'une ou de plusieurs significations possibles de cette détermination ambiguë.

72. Par conséquent, le groupe spécial détermine donc qu'à cet égard la détermination de l'ITC sur la question de la « branche de production nationale » n'est pas cohérente avec les obligations des États-Unis en vertu de l'ALENA, paragraphe 803.3(12) de l'ALENA.

73. Comme on l’a signalé précédemment, la décision de l'ITC n'est pas claire non plus relativement à un autre aspect de la définition juridique de la « branche de production nationale » — la signification à donner au libellé particulier de la définition qui utilise deux expressions distinctes, « similaire » et « directement concurrent », séparées par un « ou » exclusif.

74. On peut interpréter les expressions « similaire » et « directement concurrent » comme l'expression de deux critères juridiques distincts — le premier nécessitant un certain degré de similarité physique et fonctionnelle en plus de l'interchangeabilité commerciale et le second se ayant trait uniquement à l'interchangeabilité commerciale. D'après cette interprétation, tous les produits « similaires » seraient « directement concurrents », mais certains produits qui ne sont pas « similaires » pourraient tout de même être « directement concurrents ».

75. Si, en fait, ces deux expressions représentent des notions juridiques distinctes, une certaine clarification serait nécessaire, pour ce qui est des conséquences juridiques d'une situation dans laquelle un produit fabriqué au pays est estimé être « similaire » au produit importé, tandis qu'un autre produit fabriqué au pays est estimé être « non similaire », mais « directement concurrent ».

76. Le rapport de l'ITC n'indique pas si l'ITC considère les expressions « similaire » et « directement concurrent » comme des critères juridiques distincts ou si elle les voit comme une seule expression spécialisée correspondant à un seul critère juridique ayant son contenu distinctif. La présentation finale du Mexique comprenait une liste de cas où l'ITC avait utilisé les expressions « similaire ou directement concurrent » comme s'il s'était agi d'une seule notion 64 . La manière dont l'ITC décrit son approche d'une « ligne de produits » à cinq facteurs dans cette affaire est, ici également, évocatrice d’une notion unique 65 . Une affirmation d’un commissaire donne à penser que les expressions « similaire » et « directement concurrent » sont considérées comme désignant des critères distincts, signifiant que « s'il y a une branche de production qui produit un article « similaire » à l'article importé, il n'est habituellement pas nécessaire de considérer s'il y a également des branches de production qui produisent des articles « directement concurrents », en l'absence d'allégations précises selon lesquelles les producteurs d'articles directement concurrents sont aussi victimes de préjudices 66 . Finalement, un des commissaires dissidents a conclu que les balais de matière plastique devraient faire partie de la même branche de production nationale parce qu'ils étaient « directement concurrents » 67 .

77. En somme, bien qu'il soit clair que l'ITC a statué que les balais de matière plastique ne faisaient pas partie de la branche de production nationale pertinente, l'argumentation suivie dans sa détermination n'a jamais permis d'expliquer comment l'ITC interprétait l'expression « directement concurrent » pour parvenir à ce résultat. L'ITC n'aborde pas les conséquences qui s'ensuivraient si les balais de matière plastique étaient jugés « non similaires », mais tout de même « directement concurrents » aux balais en paille de sorgho, et n'exclut pas non plus cette possibilité. Sans autre explication, cet aspect de la décision ne peut non plus être examiné et ne satisfait pas non plus aux exigences de l'article 803 de l'ALENA, paragraphe 803.3(12).

IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

78. Les mesures de sauvegarde actuellement en vigueur en vertu de la proclamation 6961 68 , reposant sur une détermination de l'ITC qui ne fournit pas « des conclusions dûment motivées sur toutes les questions pertinentes de droit et de fait », contreviennent de manière constante aux obligations des États-Unis en vertu de l'ALENA. Cette mesure est déjà en vigueur depuis deux ans. Le groupe spécial recommande donc que les États-Unis se conforment aux dispositions de l'ALENA le plus tôt possible.

Original signé par

Paul O'Connor (président)
Paul O’Connor (président)

John H. Barton
John H. Barton

Raymundo Enriquez
Raymundo Enriquez

Robert E. Hudec
Robert E. Hudec

Dionisio Kaye
Dionisio Kaye

Soumis par les Parties contestantes le 30 janvier 1998.


46 Les deux textes se lisent ainsi.

Paragraphe 803.3(12). « L'organisme d'enquête compétent publiera dans les moindres délais, au journal de la Partie, un rapport et un résumé de ce rapport, dans lequel il exposera ses constatations et ses conclusions, dûment motivées, sur tous les points pertinents de droit et de fait. »

Article 3.l. « Les autorités compétentes publieront un rapport exposant les constatations et les conclusions motivées auxquelles elles seront arrivées sur tous les points de fait et de droit pertinents. »

47 Brésil —— Mesures visant la noix de coco desséchée, WT/DS22/R (1996), paragraphe 289.

48 Contre-soumission des États-Unis d'Amérique, note 28.

49 Cela était clair dans la lettre du 21 août 1996 du Mexique demandant des consultations, et dans sa lettre du 25 novembre 1996 demandant une convocation de la Commission de libre-échange; ces documents sont cités dans les notes 14 et 15 qui précèdent.

50 Rapport de l'ITC, pages I-9 à I-11.

51 Id., page II-14.

52 Id., pages I-9 et I-10, note 5.

53 Présentation initiale soumise par les États-Unis du Mexique, paragraphe 76 (en-tête).

54 Contre-soumission des États-Unis d'Amérique, paragraphe 92.

55 La déclaration pertinente est rédigée dans les termes suivants : [TRADUCTION] « Lorsqu'elle a entrepris de déterminer si une ou plusieurs branches de production nationales correspondant aux producteurs de produits similaires ou directement concurrents, la Commission a toujours suivi une approche reposant sur « une ligne de produits », en prenant en compte des facteurs tels que les caractéristiques physiques de l'article, le traitement en douane, le lieu et la méthode de fabrication (c'est-à-dire dans une installation distincte), les usages et les circuits de commercialisation ». Id., I-9 - I-10.

56 Réponse aux questions du groupe spécial aux Parties, soumise par les États-Unis du Mexique, page 2.

57 Pour être précis, disons que cet argument semble reposer sur l'hypothèse que les balais en paille de sorgho fabriqués au pays et importés sont des produits identiques (comme en conviennent les deux parties). Cela étant, les balais de matière plastique de fabrication nationale qui sont « similaires » aux balais en paille de sorgho importés doivent nécessairement être « similaires » aux balais en paille de sorgho de fabrication nationale, ce qui signifie qu'aucun argument ne justifie la séparation des balais de matière plastique et des balais en paille de sorgho dans des branches de production nationales distinctes.

58 Japon — Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS8/R (1996) (rapport du groupe spécial), paragraphe 6.21.

59 Japon — Taxes sur les boissons alcooliques, WT/DS8/AB/R (1996) (organe d'appel), pages 20-21.

60 Id., page 21.

61 Corée—Droits anti-dumping appliqués aux importations de polyacétal en provenance des États-Unis, ADP/92 (1993), paragraphe 217.

62 Id., paragraphes 223-224.

63 Comme le soulignaient les paragraphes 44-47 qui précèdent, le Mexique a attiré l'attention, à plusieurs reprises, sur le fait qu'en l'absence de toutes conclusions ou explications ultérieures la conclusion de l'ITC selon laquelle les balais de matière plastique n'étaient pas « similaires » aux balais en paille de sorgho importés ou « directement concurrents » se prêtait à diverses interprétations, chacune conduisant à une allégation différente d'erreur de droit. Le groupe spécial a considéré que ces différentes allégations d'erreur de droit correspondaient à une autre allégation d'erreur de droit, cette allégation étant que, vu les ambiguïtés et les omissions caractérisant, dans l'explication de l'ITC, le fondement juridique de sa détermination de la « branche de production nationale », l’explication, par l’ITC, de sa décision juridique était tout simplement trop incomplète et trop peu claire pour être un fondement adéquat, sur le plan juridique, pour prendre une mesure de sauvegarde.

Dans leurs commentaires du rapport initial du groupe spécial, les États-Unis ont soutenu que le Mexique avait renoncé à invoquer les exigences prévues au paragraphe 803.3(12) en refusant de reconnaître la pertinence du paragraphe 803.3(12) par rapport à la légalité de l'analyse factuelle faite par l'ITC des cinq facteurs qu'elle avait énumérés comme étant ses critères de décision. Commentaires des États-Unis d'Amérique sur le rapport initial du groupe spécial (16 janvier 1998), page 5, citant les commentaires sur la réponse du gouvernement des États-Unis aux questions du groupe spécial, soumis par les États-Unis du Mexique (22 octobre 1997), paragraphes 21-23. Le groupe spécial a considéré que la déclaration en question portaient sur les critères juridiques appropriés pour mesurer la pertinence des déterminations factuelles particulières et non pas sur les critères régissant la légalité de l'explication, par l'organisme d'enquête, du fondement juridique de sa décision.

64 Supplementary Written Submission, soumise par les États-Unis du Mexique, paragraphe 31.

65 Rapport de l'ITC, note 5.

66 Id., note 3.

67 Id., I-53.

68 61 Fed. Reg. 64431 (4 décembre 1996).